Le cinéma américain que l’on dit, non sans quelques bonnes raisons, dans un creux artistique qui n’a connu que peu de précédents, conserve néanmoins une vitalité et une capacité à faire émerger de nouveaux réalisateurs qui est assez bluffante. Pour ne prendre que ces dernières années, la liste est longue de réalisateurs qui ont reçu, dès leur premier film, de façon totalement méritée, de très nombreux prix dans la plupart des festivals où ils ont été sélectionnés et des dithyrambes des critiques, certes parfois promptes à s’emballer et vouloir voir dans ces jeunes talents les successeurs des grandes gloires du cinéma américain. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer David Robert Mitchell (The Myth of the American Sleepover), Benh Zeitlin (The Beasts of The Southern Wild), Sean Durkin (Martha Marcy May Marlene), Ryan Coogler (Fruitvale Station), Robert Eggers (The Witch), S.Craig Zahler (Bone Tomahawk) et Barry Jenkins (Moonlight qui a reçu l’oscar du meilleur film). Disons le tout de suite, Trey Edward Shults, est de toute cette liste, celui qui a le plus impressionné l’auteur de ces lignes pour avoir réalisé l’oeuvre la plus personnelle (les acteurs de Krisha sont des membres de sa famille et le film se déroule dans la maison familiale) mais aussi la plus complexe. Krisha (La critique) était en effet un drame Cassavetien dans lequel l’horreur venait de la violence des ressentiments que suscite le personnage principal et de son sentiment d’oppression que l’on ressentait jusque dans nos tripes grâce à la mise en scène et l’inoubliable interprétation de Krisha Fairchild (la tante de Trey Edward Shults).
It Comes At Night est le deuxième film du contrat passé avec A24 qui distribua (malheureusement pas en France) Krisha et dont le flair impressionnant fait que l’on pourrait aller voir un film sur son seul nom (A24 a distribué Under The Skin, Ex Machina, American Honey, Moonlight, The Witch …). Annoncé comme un film d’horreur, It Comes At Night est en réalité beaucoup plus complexe et personnel que ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Auteur du scénario, Trey Edward Shults étudie à nouveau le fonctionnement d’une famille, prise ici dans des circonstances exceptionnelles, contrainte de vivre cloîtrée dans une maison perdue dans les bois pour échapper à une menace invisible. Si pour Krisha la famille décuplait ses angoisses et représentait un danger pour le fragile équilibre qu’elle pensait avoir retrouvé, la famille est pour Paul (Joel Edgerton), Sarah (Carmen Ejogo) et Travis (Kelvin Harrison Jr) le seul rempart contre l’horreur venant du monde extérieur, le dernier endroit dans lequel ils peuvent se sentir en sécurité. Paul se dévoue totalement à sa famille dont il a réglé la vie pour réussir à survivre alors que le reste de la population a été décimé par une mystérieuse maladie qui ressemble toutefois beaucoup à la peste. Ici il n’y a pas de place pour une longue exposition ou des flashbacks venant expliquer au spectateur ce qui s’est réellement passé, le propos du film se trouvant ailleurs. Ce qui intéresse Trey Edward Shults c’est de voir comment cette famille survit ensemble et jusqu’où Paul est prêt à aller lorsqu’il la pense menacée . Ce point est important. La menace n’étant jamais clairement identifiée, les décisions et les actes de Paul ne peuvent pas être qualifiées de légitimes ou de choquants, ce qui jette un grand trouble que l’on ressent pendant tout le film. It Comes At Night est en réalité un poignant et oppressant drame survivaliste, reprenant les codes du film d’horreur mais dans lequel les seules véritables visions d’horreur proviennent des cauchemars et donc des angoisses d’un adolescent (Travis) confronté à la mort et contaminé par la paranoïa dans laquelle vit son père.
Le film joue sur nos peurs les plus primitives et interroge en permanence tant notre conscience que la perception que l’on a de la réalité de la menace qui pèse sur cette famille. Trey Edward Shults démontre une nouvelle fois sa virtuosité pour enfermer le spectateur dans l’espace physique puis mental dans lequel se trouvent ses personnages. La caméra circule, comme en apesanteur, dans les couloirs étroits et sombres de cette maison, éclairés par la seule lumière de la lanterne de celui qui s’y aventure. Trey Edward Shults accorde le même soin à la construction de ses personnages, aux longues scènes de dialogues filmées souvent en plan séquence pour en restituer l’énergie, qu’à la mise en place de l’atmosphère oppressante et angoissante dans laquelle il plonge son récit, aidé en cela par la puissance de la musique composée par . L’horreur s’insinue dans ce qui est avant tout un drame familial, un récit construit autour des rapports entre ses personnages, qui prend plus d’ampleur et se complexifie encore avec l’arrivée d’une autre famille, de ce jeune couple et de cet enfant qui sont des potentielles menaces pour la survie de Paul et des siens. Dans un monde où l’autre peut être porteur de la maladie contre laquelle on a organisé toute sa vie, où l’instinct de survie prend le pas sur toutes valeurs morales, la confiance ne peut s’installer que de façon provisoire. Comme le dit Paul à Travis ,lequel est sous le charme de cette famille et surtout de Kim (Riley Keough dont le magnétisme transperce à nouveau l’écran), « on ne peut avoir confiance qu’en sa famille ». Le scénario a la grande intelligence de ménager des zones d’ombres et de placer le spectateur dans la même position que Paul qui doit choisir s’il doit croire ce que lui dit Will (Christopher Abbott), ce qui le met face à un insoluble dilemme moral. S’il est un homme animé par la seule volonté de sauver les siens, il est digne d’être secouru mais il sera aussi capable de détruire la famille de Paul pour assurer la survie de la sienne. En effet, comment faire confiance à l’autre quand on est soit même un homme bon qui se sait capable de tout dans ces circonstances? Joel Edgerton a trouvé un rôle à la mesure de son talent dans lequel il n’a pas à forcer sa nature pour être convaincant. Il impose son charisme tranquille qui rend ce personnage terriblement humain. Mais la vraie révélation du film est Kelvin Harrisson Jr dont le personnage est central, l’histoire étant le plus souvent raconté du point de vue de cet adolescent témoin d’un monde et d’enjeux qui le dépassent et l’effraient.
It Comes At Night nous implique comme très peu de films, transmettant la paranoïa et les peurs de ses personnages aussi rapidement et inévitablement que cette mystérieuse maladie. Dans un autre registre mais avec la même force, il rappelle le déchirant film de Lynne Littman, Testament (avec William Devane et Jane Alexander qui reçut une nomination à l’oscar), autre drame post apocalyptique/survivaliste se concentrant sur une famille survivant à un holocauste nucléaire. Le second film de Trey Edward Shults dépasse le cadre du film d’horreur auquel ses bandes-annonces et sa promotion semblent le restreindre. C’est un film empreint de sa sensibilité et de ses traumas, poursuivant parfaitement l’œuvre commencée avec Krisha.
J’avais été très déçue par ce film mais je pense que c’est parce que je m’attendais à un film d’horreur vu qu’il avait été vendu comme tel.
marketing en effet problématique comme l’est potentiellement celui du prochain lynne ramsay…
C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas voulu voir la BA 😉 . De Ramsay j’ai adoré We need to talk about Kevin même si le roman est encore meilleur !
J’ai adoré ce thriller ! C’est un film qui m’a pris aux tripes. J’étais angoissée du début à la fin. Je trouve que la scène est bien choisie, car une maison qui se situe dans une forêt, c’est idéal pour un film d’horreur. Je vous conseille aussi de regarder 31, un thriller réalisé par Rob Zombie. J’ai vu ce film grâce à une application : https://play.google.com/store/apps/details?id=virgoplay.vod.playvod&hl=fr , que j’ai téléchargée.