Synopsis:
Au cœur de Los Angeles, une actrice en devenir prénommée Mia sert des cafés entre deux auditions.
De son côté, Sebastian, passionné de jazz, joue du piano dans des clubs miteux pour assurer sa subsistance.
Tous deux sont bien loin de la vie rêvée à laquelle ils aspirent…
Le destin va réunir ces doux rêveurs, mais leur coup de foudre résistera-t-il aux tentations, aux déceptions, et à la vie trépidante d’Hollywood ?
Pour Damien Chazelle tout commence et se résout en musique. Après avoir effleuré la comédie musicale avec le très jazzy et mélancolique » Guy and Madeline sit on a park bench » puis avoir réalisé le « rocky » des films musicaux et rencontré un immense succès critique et public avec le douloureux et électrisant « Whiplash », il se lance enfin dans ce genre qui l’inspire tant et dont les classiques qui nous viennent immédiatement à l’esprit font figure de références indépassables. Dans ce genre extrêmement codifié, on attendait de Damien Chazelle qu’il dépasse l’hommage, même brillant pour à l’instar de ce qu’ont su faire les frères Coen avec Hail Caesar, livrer un film qui digère ses influences plutôt que de les citer et parvienne à coller avec le style et le propos qui nous a tant séduit dans ses précédents films.
La La Land est un film qui a la tête dans les nuages mais les pieds solidement ancrés au sol. Léger et enivrant comme une bulle de champagne mais empreint également d’une profonde mélancolie, il n’effleure pas son sujet comme nous aurions pu le craindre, en sacrifiant à la volonté de faire de grands numéros, mais au contraire, l’investit totalement avec une intelligence remarquable. C’est pour cette raison que, si nous devons maintenant confesser être tombé éperdument amoureux de La La Land, ce n’est pas un coup de foudre sans lendemain mais un amour qui s’est construit au fur et à mesure de scènes dont la virtuosité indéniable et éclatante n’occulte jamais le propos. L’ouverture donne tout de suite le « la »en citant celle des demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967) dans une explosion de couleurs qui illuminent l’écran. La caméra danse et virevolte comme les centaines de danseurs et de figurants qui passent devant son objectif ou que l’on aperçoit en arrière plan, donnant l’impression d’être à la fois acteur et spectateur de ce grand numéro musical qui se joue partout autour de nous. C’est là la grande réussite du film qui ne sera pas démentie durant tout le reste de la séance. Damien Chazelle nous prend par la main et nous invite dans cet univers sans jamais donner l’impression de réciter une leçon bien apprise chez Jacques Demy (les parapluies de Cherbourg), George Cukor (A Star is Born), Vincente Minelli (Un américain à Paris) ou Stanley Donnen (Singing in the Rain).
Cet univers est bien sûr en partie constitué de la parfaite « digestion » de ces références qui sont parfois explicitement citées mais dont Chazelle a avant tout capté l’esprit et la grâce. Il est également constitué de ce qui travaille intimement ce jeune cinéaste qui par son parcours a appris quel est le prix à payer pour s’accomplir artistiquement, les sacrifices et frustrations qui encadrent les joies.
Mia et Sebastian sont deux jeunes artistes en devenir qui s’accrochent encore à leur rêve. Sebastian (Ryan Gosling) joue chaque soir dans un club dont le gérant, interprété par JK Simmons, certes moins dictatorial que le professeur de batterie qui terrorisait Andrew dans Whiplash , bride complètement sa liberté artistique en menaçant de le licencier s’il sort de la setlist établie. Mia (Emma Stone) doit quant à elle courir d’auditions en auditions, donc de frustrations en déceptions, en gardant le sourire devant les stars qu’elle sert quotidiennement dans un café situé au sein même d’un grand studio.
En s’attachant, par un montage qui à la façon du procédé utilisé dans la série « The Affair », détaille du point de vue de chacun des personnages les quelques heures précédant leur rencontre, Chazelle leur donne une large exposition qui permet de percevoir cet instant comme un climax et une évidence au vu du parcours et du tempérament de Mia et Sebastian. Cette construction est d’autant plus habile que Chazelle ne lui donne pas la conclusion attendue et joue sur l’attente du spectateur qui a envie d’enjoindre à ces deux là d’unir leur destin. Il capte magnifiquement la naissance du sentiment amoureux entre Mia et Sebastian, le « hasard » de leurs rencontres dans cet univers follement cinématographique qui les fait s’arrêter pendant le tournage d’une scène se tournant à côté du café de Mia, se retrouver au Rialto puis s’évader au Griffith Observatory.
Ryan Gosling et Emma Stone ne sont pas Gene Kelly et Ginger Rogers mais leur très relative maladresse dans leurs numéros musicaux n’est absolument pas gênante et au contraire très touchante en ce qu’elle est cohérente avec ce que sont leurs personnages, c’est à dire des artistes en devenir, loin d’être accomplis mais déjà totalement engagés dans leur art.
Damien Chazelle évite ainsi un écueil qui guettait sa comédie musicale: la froideur d’une exécution millimétrée cherchant à reproduire la perfection atteinte avant elle. Plus nostalgique que fétichiste, il ne se compromet jamais dans de vains numéros dont le but serait de montrer son savoir faire plus que de servir son récit et de coller à l’état d’esprit de ses personnages. Même si tous les morceaux composés par Justin Hurwitz ne sont pas d’une qualité égale, l’énergie et l’émotion qui se dégagent des personnages, la virtuosité de la mise en scène font que la magie opère et que l’on a envie de quitter son siège pour traverser l’écran. La qualité des dialogues et leur rythme est également à souligner. Les parties non musicales ont leur propre tempo, ne paraissent jamais être de longs interludes et participent même totalement à « l’efficacité » des parties musicales.
Le manque de charisme parfois reproché à Ryan Gosling n’est nullement un handicap pour le film et le propos que veut porter Damien Chazelle. Le personnage bien qu’initialement promis à Miles Teller semble même écrit pour lui tant il lui permet d’évoluer dans un registre dans lequel il est parfaitement à l’aise. Son charme cool, son visage impassible illuminé par un petit sourire malicieux et son timing comique font merveille. Il est le partenaire idéal d’une Emma Stone qui irradie l’écran avec son visage si expressif, sa capacité à transmettre l’émerveillement et à changer de registre en une fraction de seconde. L’alchimie entre eux est parfaite. On croit à leur histoire, on partage leurs joies, leurs doutes. On souffre aussi de la distance qui peu à peu s’installe entre eux lorsque la carrière de l’un accélère soudainement au prix de ce qui paraît à l’autre comme une compromission artistique qui a en plus de grandes conséquences sur leur vie de couple. Ryan Gosling et Emma Stone, comme Damien Chazelle, excellent à transmettre leurs doutes, leur mélancolie face au prix à payer pour accomplir leur rêve artistique. La photographie de Linus Sandgren (Promised Land, American Bluff, Joy) est à l’avenant, capable de magnifier les couleurs vives, de jouer sur des teintes plus sombres qui se réchauffent avec les sentiments des personnages et de peindre des scènes nocturnes parmi les plus belles que l’on ait pu voir. Ce qui est admirable dans La La Land c’est que le soufflet ne retombe jamais, que le charme n’est jamais rompu, ni même le lien intime qui se crée avec le récit de ces deux jeunes artistes. Le dernier quart du film l’élève même encore plus haut, jouant sur le montage et la perception de cette histoire, posant la question « Et si …? » que l’on s’est tous posé à un moment de notre vie pour reconsidérer nos choix. On ressort de la salle avec l’envie de danser, de chanter et de tomber amoureux mais aussi d’écrire ces quelques lignes pour vous faire partager notre enthousiasme et vous dire, à défaut de vous convaincre tous, que La La Land est un chef d’oeuvre.
Superbe article ! Je lis beaucoup d’avis sur ce film pour essayer de capter chaque nuance, et chaque fois je remarque de nouvelles choses grâce aux regards d’autres spectateurs. J’adore ce que vous avez écrit !
J’adore ce film, l’un des meilleurs que j’ai pu voir. J’aime aussi la fin qui va dans le sens des personnages, pas dans celui des spectateurs. C’est une fin digne de l’histoire présentée.