Synopsis:
22 Novembre 1963 : John F. Kennedy, 35ème président des États-Unis, vient d’être assassiné à Dallas. Confrontée à la violence de son deuil, sa veuve, Jacqueline Bouvier Kennedy, First Lady admirée pour son élégance et sa culture, tente d’en surmonter le traumatisme, décidée à mettre en lumière l’héritage politique du président et à célébrer l’homme qu’il fut.
Entre conteur d’histoires et cinéaste politique, Pablo Larrain a décidé de ne pas trancher et a ainsi, en l’espace de 5 films (en exceptant donc son premier film « Fuga »), réussit à construire une oeuvre d’une remarquable cohérence en s’attachant dans chacun de ses films à traiter de destins individuels pris dans un contexte historique très marqué : un fan de « Saturday Night Fever » dans le Chili de Pinochet (Tony Manero), un employé de morgue amoureux d’une danseuse de Cabaret dans les premiers jours du coup d’Etat de Pinochet qui renversa Salvador Allende (Santiago 73 Post Mortem), un publicitaire qui participa à la campagne du Non au référendum initié par Pinochet pour prolonger son « mandat » (No), le récit de prêtres accusés de pédophilie, cachés et protégés par l’église chilienne soucieuse de se protéger de tout scandale et de tirer un trait, en apparence, avec les années Pinochet (El Club); un jeu du chat et de la souris entre Pablo Neruda et un policier aux ordres du général Videla (Neruda).
A travers chacun de ces films et par le biais d’une « petite histoire », Pablo Larrain traite de la grande histoire auquel son récit apporte un éclairage particulier. Pour son premier film américain, qui plus est traitant d’une personnalité aussi iconique, au coeur d’une des pages les plus marquantes de l’histoire américaine, il n’a pas changé sa façon de procéder et l’a même poussé encore plus loin. L’approche de Pablo Larrain évite l’écueil de l’académisme attendu pour un film traitant d’un personnage dont le parcours alimenta autant les livres d’histoire, que les pages de papier glacé des magazines. Médiatisée jusqu’à l’icônisation, de par sa fonction puis par sa personnalité qui intrigua d’abord, agaça parfois puis charma la majorité des américains, Jackie Kennedy est une personnalité hors norme, beaucoup plus complexe et torturée que l’image lisse et désincarnée qu’en garde le grand public, indéfectiblement liée à l’aura et la légende du clan Kennedy.
La façon dont il aborde la mise en scène de ce récit n’est absolument pas académique et l’extrait du cadre historique pour être au plus près de Jackie, pour en livrer un portait intime, sans fard, rendant compte de ses tourments, de ses contradictions mais aussi de son courage et de sa dignité dans une épreuve qu’elle dû surmonter devant les caméras du monde entier. Derrière l’histoire avec un grand H, celle connue de nous tous, derrière les images, passées à la postérité, qu’il s’attache à retourner, Pablo Larrain et son scénariste, Noam Oppenheim, nous racontent l’histoire intime d’une femme écrasée par le chagrin et le poids de sa fonction. Une femme incroyablement digne mais au bord du vide incarnée par ces longs plans la suivant déambulant seule dans les pièces fastueuses et désespérément vides de la maison blanche, ce lieu auquel elle s’était évertuée à donner vie comme en témoigne le documentaire « White House Tour », recrée en partie et au plan près avec une précision et un souci du détail sidérant. Une femme interprétée par Natalie Portman avec le mélange de force et de fragilité qui ont fait ses plus grands rôles, et en premier lieu, son extraordinaire performance dans Black Swan (Darren Aronofsky, 2010).
« Jackie » comblera autant les amateurs les plus fétichistes de reconstitution historique, des costumes aux décors, en passant par le grain de l’image, que les plus réfractaires à l’académisme normalement de mise sur ce type de sujet. Pablo Larrain filme Jackie Kennedy comme une héroïne « Cassavetienne », une femme influente et sous influence, déterminée, tantôt affable, tantôt glaçante, dont la vérité est captée en gros plan et les tourments traduits par l’extraordinaire bande son de Mica Levi. La musique torturée, organique, de Mica Levi qui signa la bande son de « Under The Skin » (Jonathan Glazer) , contribue totalement à cette plongée dans la psychée de Jackie Kennedy, à cette aventure intérieure dans les tourments de l’âme d’une femme qui tente de prendre le contrôle de sa vie, tout en menant à bien, jusqu’au bout, sa mission de première dame des Etats-Unis, mais surtout d’épouse d’un président lâchement assassiné dont elle souhaite assurer la place dans l’histoire.
L’apparence fragile, presque adolescente de Natalie Portman se confond parfaitement avec l’image que Jackie Kennedy renvoyait alors. Le parti pris intimiste et « organique » de la mise en scène est justifié par la volonté de nous montrer la personne qui se cache derrière une image et une communication parfaitement maîtrisées. On n’imagine personne d’autre que Natalie Portman, éternelle femme enfant, pour rendre ce parti pris aussi payant, tant elle est capable de transmettre dans ses rôles, la noirceur et la froideur qui sommeillent en elle.
Le point d’entrée du récit est l’entretien que Jackie Kennedy demanda au journaliste Theodore H White, une semaine à peine après ce tragique 22 novembre 1963. Maîtresse de son récit et de son image, on la suit donner ses instructions à ce journaliste en charge d’écrire un article dont le but est notamment de contribuer à la légende de JFK et de sa présidence. Le montage virtuose permet des allers retours entre cet entretien et le récit des heures qui précédèrent l’attentat, puis de ce drame qui fit basculer sa vie et des heures et jours de solitude qui suivirent jusqu’à l’enterrement dont elle voulu organiser les moindres détails.
Pablo Larrain réussit le tour de force de rendre vivante et vibrante la reconstitution de ces instants qui ont marqué l’histoire et sont dans toutes les mémoires, que ce soient celles de l’attentat ou de l’enterrement, notamment de ces deux jeunes enfants accompagnant leur père devant les caméras et objectifs du monde entier. Le récit historique (re)devient le récit intime d’une mère et d’une épouse qui, après avoir déjà perdu 2 enfants, doit endosser les habits de la première dame endeuillée. L’attentat dont chacun de nous a en tête les images retrouve sa dimension de drame intime, celui d’un homme mort sous les yeux de sa femme qui culpabilise de ne pas avoir pu le sauver. Les scènes intimes suivent et précèdent les scènes publiques, Pablo Larrain interroge en permanence le champ-contrechamp, la scène et le hors-scène, cette dualité permanente qui contraint Jackie à ne jamais réellement pouvoir penser pour elle-même et à avoir toujours en tête l’image qu’elle renverra et la trace laissée dans l’histoire, comme en témoigne la façon dont elle se réfère systématique à Abraham Lincoln.
L’engagement de Pablo Larrain sur ce film force l’admiration, tant il a mis autant de soin à mettre en scène la grande histoire, dans des reconstitutions fastueuses mais jamais ostentatoires, qu’à saisir intimement les ressorts de la personnalité de Jackie Kennedy. Grâce à son regard, à l’interprétation fiévreuse de Natalie Portman, à la mise en musique de Mica Levi et aux dialogues redoutablement intelligents de Noam Oppenheimer (les échanges entre Jackie et Bob Kennedy en particulier), le papier glacé devient incandescent et les codes du biopic traditionnel sont transcendés.