[CRITIQUE] Moonlight (2017) – Barry Jenkins [A-]

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Synopsis

Après avoir grandi dans un quartier difficile de Miami, Chiron, un jeune homme tente de trouver sa place dans le monde. Moonlight évoque son parcours, de l’enfance à l’âge adulte.

Le deuxième film de Barry Jenkins fait assurément partie des films les plus attendus de ce début d’année, ayant pris la place de grand outsider des oscars promise depuis des mois à Birth of A Nation de Nate Parker.  Déjà récompensé par le golden globe du meilleur film dramatique, face notamment à Manchester By The Sea du très côté Kenneth Lonergan, il n’a, à nos yeux, nullement usurpé son prix et les louanges qu’il reçoit d’une majorité de critiques. Adapté de la pièce de Tarell Alvin McCraney « in moonlight black boys look blue », Moonlight confirme le talent unique de Barry Jenkins pour traiter de thèmes de société très lourds, en donnant d’abord l’impression de les effleurer, en ne les faisant pas entrer de force dans un récit dont la portée illustrative l’emporterait sur l’émotion.

Dans son premier long métrage, Medicine for Melancholy, il abordait ainsi la question de l’identité afro américaine et du déclassement des classes moyennes et ouvrières, contrainte de quitter les centre villes en raison de la spéculation immobilière.

A travers la simplicité de l’histoire de cette homme et de cette femme, tous deux afro américains mais évoluant dans des milieux très différents, dont les destins se croisent pendant 24 heures avant de se séparer à nouveau, il parvenait à porter un propos d’une remarquable lucidité sans rien enlever à la douceur et à la légèreté de son récit.

Dans le court métrage « Remigration » réalisé pour la série « Futurestates »qui demandait à chacun de ses réalisateurs de traiter d’un thème fort traversant la société américaine actuelle pour en imaginer les répercussions et l’évolution dans un futur plus ou moins proche, Barry Jenkins imaginait un programme de « remigration » mis en place par la ville de San Francisco pour faire revenir ceux qui en furent chassés pour des raisons économiques.

Au delà de la force du propos, ce très beau court métrage nous avait fasciné par la délicatesse de son regard, la façon dont il s’attachait à ne pas trahir le récit intime de ses personnages, témoins et victimes des maux de la société américaine.

Barry Jenkins est un cinéaste dont la douceur de la forme contraste avec le propos, politisé, engagé. Le soin apporté à la photographie de ses films, au cadrage, à la musique, contraste avec la radicalité du propos qui sous tend des histoires dans lesquelles il pose un regard empathique et bienveillant sur ses personnages. Il parvient à réconcilier deux approches cinématographiques que l’on oppose souvent à tort: l’approche sensorielle et l’approche politique. C’est un esthète engagé qui frustrera peut être les adeptes d’un discours enragé qui trouveront Moonlight trop mièvre, trop long. Barry Jenkins l’homme engagé ne prend jamais le pas sur l’homme profondément sensible et romantique, à tel point que l’on pourrait inventer à son sujet un oxymore en parlant de douceur radicale. Le fait est que Moonlight tient autant de « Stand by me »(Rob Reiner) que de « Boyz’n The Hood » (John Singleton).

Barry Jenkins réussissant une forme de miracle à la fois dans l’écriture et la mise en scène qui permet de passer de ce que l’on appelle le « coming of age movie »à la chronique sociale et au drame d’un enfant, puis d’un adolescent, vivant dans un milieu extrêmement défavorisé, dans lequel la drogue fait figure de pire ennemi pour les ravages qu’elle cause et de meilleure amie en ce qu’elle représente le moyen le plus sûr de s’extraire de sa condition.

Moonlight se construit en 3 actes,  3 étapes décisives dans la construction intime de Chiron, son personnage principal, interprété donc par 3 acteurs différents, tous excellents, qui assurent une parfaite continuité au récit malgré des sauts temporels d’une dizaine d’années entre chacun des actes. L’enfant mutique qui baissait continuellement la tête se retrouve parfaitement dans l’attitude de cet adolescent craintif, refermé sur lui-même, victime, en raison de sa différence, du harcèlement de ses camarades; puis dans le regard plein de douceur et de mélancolie de ce caïd qui s’efforce de ressembler à celui qui lui ouvrit son coeur et son foyer. Barry Jenkins aurait pu faire le choix de Richard Linklater sur « Boyhood », de tourner son film avec un seul et même acteur, le résultat n’aurait pas été plus convaincant, tant l’âme blessée de Chiron se retrouve dans chacun de ces 3 acteurs merveilleusement dirigés et d’une sensibilité bouleversante. Chaque épreuve traversée par l’enfant puis l’adolescent participe à la construction de la personnalité de cet adulte qui a l’allure d’un caïd mais le coeur d’un enfant mélancolique et romantique qui cherche l’amour et l’affection dont il fut privé. La construction patiente des 2 premiers actes, la façon dont Barry Jenkins suit au plus près l’itinéraire de cet enfant puis de cet adolescent délaissé par sa mère, moqué et frappé par ses camarades, prend tout son sens dans le dernier acte. Cela lui permet d’aller très loin dans l’émotion dans des scènes qui, prises isolément, ne pourraient jamais fonctionner et même déclencher quelques rires moqueurs, insensibles à ce romantisme, cette naïveté qui soudain envahit l’écran. Si la carapace de l’enfant et de l’adolescent paraît ne jamais pouvoir être percée, c’est le gros dur bodybuildé avec sa dentition en or et sa voiture de « pimp » qui ouvre enfin son coeur avec la maladresse et la sincérité d’un adolescent qui vit ses premiers émois.

Moonlight arrive à nous émouvoir et à nous faire réfléchir avec une délicatesse et une justesse qui forcent l’admiration. Sans compromis, sans user de facilités narratives,  maniant à merveille de l’art délicat de l’ellipse, il transcende les genres, s’autorise un romantisme qui sera moqué par certains mais qui nous a emporté comme très peu de films y étaient déjà parvenus. Barry Jenkins n’hésite pas à mettre dans le même sublime écrin, la plus fragile des pierres précieuses et la plus coupante des lames, celle qui entre d’autres mains aurait justifié d’emmener le film dans le drame aride et naturaliste, ou pire, dans le pathos. Dans le cinéma de Barry Jenkins, tout passe par le regard, par la simplicité des dialogues , par le refus du misérabilisme au risque de paraître fleur bleue. Aussi sensoriel qu’engagé, Moonlight est l’oeuvre d’un auteur au style unique et fascinant.

 

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