[CRITIQUE] Doctor Sleep – Mike Flanagan (2019)

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SYNOPSIS: Encore profondément marqué par le traumatisme qu’il a vécu, enfant, à l’Overlook Hotel, Dan Torrance a dû se battre pour tenter de trouver un semblant de sérénité. Mais quand il rencontre Abra, courageuse adolescente aux dons extrasensoriels, ses vieux démons resurgissent. Car la jeune fille, consciente que Dan a les mêmes pouvoirs qu’elle, a besoin de son aide : elle cherche à lutter contre la redoutable Rose Claque et sa tribu du Nœud Vrai qui se nourrissent des dons d’innocents comme elle pour conquérir l’immortalité. Formant une alliance inattendue, Dan et Abra s’engagent dans un combat sans merci contre Rose. Face à l’innocence de la jeune fille et à sa manière d’accepter son don, Dan n’a d’autre choix que de mobiliser ses propres pouvoirs, même s’il doit affronter ses peurs et réveiller les fantômes du passé…

Lorsqu’en 2013, Stephen King publia la suite de Shining l’une de ses oeuvres emblématiques, beaucoup manifestèrent déjà un certain scepticisme quant à l’intérêt de retrouver Danny plusieurs années après les terribles événements de l’hôtel Overlook au cours desquels il échappa de justesse à la mort et découvrit qu’il était porteur du pouvoir qui donna son titre au roman. Ce n’est pas faire offense à King que de dire que cette suite avait un arrière gout d’opportunisme mais aussi, de notre point de vue, un arrière goût de règlement de compte avec l’adaptation que Kubrick avait fait de son roman, changeant notamment totalement la fin avec le succès que l’on connait pour signer l’un des épilogues du les plus marquants du cinéma d’horreur. King a en effet fait preuve d’une constance qui confine presque à l’obsession et à l’aigreur quand il s’est s’agit de dire tout le mal qu’il en pensait, de l’accuser d’avoir dénaturé son oeuvre, jusqu’à traiter de fanatiques (et en creux d’idiots) ceux qui portent le film aux nues. On ne peut pas dire que la qualité du roman fit taire les sceptiques, jusque parmi les admirateurs de King dont nous faisons partie. L’annonce de son adaptation, à défaut de nous surprendre, vu l’état du cinéma américain, n’était évidemment pas de nature à soulever notre enthousiasme.

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Adapter un roman à la qualité discutable fait pour des raisons qui le sont tout autant et par la même occasion donner une suite au chef-d’oeuvre de Stanley Kubrick, voici donc l’entreprise dans laquelle s’est lancé Mike Flanagan, l’un des it boys du cinéma d’horreur, avec un enthousiasme dont on veut bien ne pas douter de la sincérité, se revendiquant comme un admirateur inconditionnel du film, mais aussi de Stephen King. S’il jouit d’une belle réputation, elle est pour l’essentiel due à la très bonne réception critique et publique de sa série The House of Hanting Hill. Ce serait une lapalissade de rappeler que le temps d’une série n’est pas celui d’un long métrage et trop long de dresser la liste des metteurs en scène qui ont brillé à la télévision sans jamais convaincre au cinéma. Le fait est que l’auteur de ces lignes n’a jamais été convaincu par le talent de metteur en scène de Mike « la main lourde » Flanagan et encore moins par celui du scénariste spécialiste des scénarios qui tiennent 30 minutes à l’écran avant de se dégonfler comme des baudruches.

Il n’est pas question de dire qu’il s’agit d’un tâcheron mais de rappeler à un peu plus de mesure ceux qui le citent comme l’un des nouveaux grands talents du cinéma d’horreur. Le défi auquel il doit faire face est toutefois assez passionnant si l’on croit en ses bonnes intentions et que nous essayons de voir l’intérêt de cette suite : se placer dans les pas de Stanley Kubrick et essayer d’opérer une réconciliation entre la sensibilité de deux grands auteurs pour  faire dialoguer à l’écran l’univers développé dans Shining et celui créé par Stephen King .

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Le début du film a le mérite de poser clairement les enjeux et les intentions de cette suite. Il s’agit plus de développer ce qu’on pourrait appeler un « shining verse », d’étendre l’univers du premier film, que de réaliser une suite directe centrée sur le personnage de Danny (Ewan McGregor) qui va donc découvrir qu’il n’est pas le seul à maîtriser le shining et que ce pouvoir est même convoité par une sinistre bande d’apprentis sorciers en quête d’immortalité. Dit comme, ça, ça ressemble déjà à un mauvais scénario de série B lambda se raccrochant à un personnage et un film culte et.. en effet l’histoire qui est le prétexte à cette suite et les nouveaux personnages introduits frôlent le ridicule et en tout cas ne présentent aucun intérêt. La vacuité de ce scénario n’est masquée que par instants lorsque Doctor Sleep se met résolument dans les pas de Shining jusqu’à en rejouer plusieurs scènes, ce qui est à vrai dire plus amusant que réellement intéressant, dans le sens où il n’y a aucun propos derrière cette démarche et qu’on est plus dans un parc d’attraction que dans un film dont le récit nous implique.

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Doctor Sleep se révèle ainsi être une grande et parfois impressionnante coquille vide (le travail sur la recréation des scènes est assez bluffant) qui malgré tous ses appels de phares et ses effets ne parvient pas à imprimer quoi que ce soit, n’existant et suscitant un semblant d’intérêt que lorsqu’il se rattache au film de Kubrick, dans une vaine tentative de réconcilier deux sensibilités opposées, puis nous endormant quand il développe extrêmement laborieusement l’intrigue prétexte à cette suite. Shining a tellement marque les esprits que le simple fait de retrouver ces scènes et l’Hôtel Overlook (absent du roman puisque détruit dans le Shining de King) capte forcement l’attention, mais force est de constater et de déplorer qu’il n’y a rien derrière cette installation qui s’effondre au fur et à mesure qu’apparait plus clairement la faiblesse insigne du scénario. On pourrait sous titrer Doctor Sleep « Pimp my Shining » tant l’impression est grande d’embarquer dans un véhicule qui emprunte une carrosserie connue pour la tuner avec mauvais goût et lui ajouter un moteur très bruyant.

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Beaucoup de bruit et d’effets de mise en scène (on retrouve là l’un des marqueurs du style Flanagan) pour pas grand chose serait on tenté de dire. Peu de place en tout cas pour une quelconque ambiguïté ici et même pour un vrai sentiment de peur, celui qui naît face à un univers complexe qui nous ramène au notre et joue avec nos peurs les plus intimes, tout l’inverse du parti pris de Kubrick, Flanagan se contentant pour l’essentiel de se conformer à la sensibilité de King.  Aucun sentiment de malaise, aucune progression dramatique ne viennent pimenter un récit sur des rails, explicitant (mal endémique du cinéma américain) ce qui devrait être ressenti, appuyant sur les traits de caractère de ses personnages qui en perdent tout intérêt, y compris même s’agissant de Danny. Le retrouver 30 ans plus tard, alcoolique, perdu dans sa vie, n’est pas une absurdité pour quelqu’un qui a vu son père sombrer dans la folie et essayer de le tuer mais, là aussi, ce qui est posé sur le papier n’est jamais incarné à l’écran. Ewan McGregor semble totalement perdu, jouant sans conviction les quelques scènes qu’il a au début d’un récit qui en font un personnage parmi d’autres. La direction d’acteurs n’a jamais été le fort de Flanagan et cela n’aide certainement pas à passer outre la faiblesse de l’écriture de ces personnages, qu’il s’agisse de Danny, de la bad girl en chef Rose (Rebecca Ferguson) ou encore d’Abra (Kyliegh Curran) aka l’enfant lumière de cette suite. Réaliser une suite à un chef-d’oeuvre de Kubrick, tout en se conformant à la vision de l’auteur du roman n’est pas une malédiction qui aboutit nécessairement à un résultat aussi médiocre. Doctor Sleep, passé le petit frisson offert par les retrouvailles avec l’Hôtel Overlook, aura assez largement échoué là où 2010 l’Année du Premier Contact (Peter Hyams, 1984), sans être un grand film, aura réussi à exister par lui-même.

Ma note: 2 / 5

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