[CRITIQUE] PERFECT SKIN (2018) – Kevin Chicken

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SYNOPSIS: Katia, une jeune fille au pair, arrive à Londres et croise la route d’un tatoueur américain très vite fasciné par sa peau, qui ferait une toile idéale pour ses créations…

Si chaque année un nombre incalculable de films s’essaient à l’exercice, bien peu parviennent à donner naissance à des personnages de « méchants »/ « croquemitaines » suffisamment forts pour parvenir à exister en dehors du long métrage, à marquer durablement les esprits de sorte qu’ils restent dans notre imaginaire collectif et feront même, pour quelques uns, partie intégrante de la pop culture. La première grande réussite de Perfect Skin est d’imposer, dès les premières minutes, un nouveau type de croquemitaine qui semble sorti d’une histoire des Contes de la Crypte: le tatoueur. Ce croquemitaine n’a ni masque, ni couteau, ne pourchasse pas ses victimes pour le plaisir sadique de tuer. C’est son obsession pour un art qui transcende la douleur physique, son désir de création sur un corps qu’il perçoit comme une toile vierge , qui font de lui « un monstre ».

Pour son premier film, tiré de son court métrage de 2011, le parti pris louable de Kevin Chicken est de s’affranchir des nouvelles conventions d’un genre qui, au fil des années, a sacrifié la psychologie de ses personnages sur l’autel de la satisfaction immédiate du spectateur, oublié que la peur nait aussi du malaise que l’on peut ressentir en se confrontant à la psyché d’un « monstre », à cette incarnation du mal, ce qu’elle réveille et interroge en nous. Sur un tel sujet, beaucoup de réalisateurs se seraient laissés aller à une surenchère d’images chocs pour glisser vers le « torture porn » le plus insignifiant. Perfect Skin est l’héritier d’une certaine tradition du cinéma britannique des années 60/70 (On pense beaucoup au Collectionneur mais aussi bien sûr à Peeping Tom ou l’Etrangleur de Rillington Place) mettant le mal au centre du récit, le laissant infuser pour créer un climat anxiogène et malsain dans lequel le spectateur n’attend pas passivement des scènes chocs pour ressentir un frisson.

 

Bob Reid (extraordinaire Richard Brake) et son allure de reptile venimeux campe un des plus terrifiants croquemitaines vu en salle ces dernières années, sa confrontation avec Katia (Natalia Kostrzewa) débouchant sur un thriller d’une grande noirceur, exploitant pleinement un sujet qui entremêle art et douleur. Le ton est donné dès le très beau générique porté par la musique de Liam Howlett (The Prodigy), Kevin Chicken ayant apporté un grand soin à la mise en scène de ce récit qui tend aussi vers le conte: une jeune migrante démunie et naïve faite prisonnière et victime des expérimentations artistiques d’un tatoueur qui se comporte avec elle comme le docteur Frankenstein avec sa création. Le montage alterné des premières minutes, mettant en parallèle Bob et Katie, multipliant les ellipses pour se rapprocher du moment fatidique, ne laisse aucun doute sur leur rencontre et le calvaire qui va suivre.

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Dans ce qui est donc le cœur du film, Kevin Chicken fait preuve d’une salutaire retenue. Bob est obsédé par sa création artistique, quelles que soient les souffrances qu’il doive faire endurer à sa victime transformée en toile vivante, mais il recherche la performance voire une sorte de transcendance (il répète à Katie qu’elle le remerciera quand il aura fini son œuvre) et n’use pas de son dermographe comme d’un vulgaire outil de torture, pas plus qu’il ne passe aux étapes suivantes dans le simple but de jouir de la souffrance de son modèle. Jouant sur un montage cut et des gros plans, Chicken ne s’attarde pas inutilement ou de manière sadique sur les supplices de Katie qui n’est pas écrit comme une simple victime au service du récit, qui a ses zones d’ombre et une force transmise par l’interprétation convaincante de Natalia Kostrzewa.

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Quand tant de films de genre sont portés par de belles intentions mais plombés par une exécution incertaine ou tape à l’œil et une direction d’acteur des plus hasardeuses, Kevin Chicken fait preuve d’une maitrise remarquable, celle du réalisateur sûr de son fait qui n’a pas besoin d’en faire trop, qui se reconnecte à sa cinéphilie, aux films qui l’ont inspiré, plutôt que de céder aux modes de son époque. On passe donc volontiers sur les quelques faiblesses de son premier film, s’agissant notamment de personnages secondaires un peu fonctionnels, pour se laisser convaincre par l’univers créé et les promesses que cette belle réussite a fait naître pour la suite de sa carrière.

 

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