SYNOPSIS: Un jeune homme appelle sa mère au téléphone. À côté de lui se trouve le cadavre de sa petite amie… Pour le guérir de ses pulsions meurtrières, sa mère le fait interner dans une clinique censée soigner ses “problèmes”.
Les parcours des réalisateurs, les concessions qu’ils doivent faire au début de leur carrière, certains projets ne pouvant être refusés lorsque l’on aspire ensuite à pouvoir mettre en scène le film que l’on a dans ses tripes, font qu’il peut y avoir une évolution majeure, tant thématiquement que formellement, entre ce que l’on avait découvert d’eux pour leurs premiers pas et leur passage au long métrage. Si Eddie Alcazar a commencé sa carrière par un documentaire HBO sur le légendaire boxeur Johnny Tapia et qu’il a dû alors mettre en veille ses ambitions et expérimentations formelles (lui qui venait du monde du jeu vidéo), le réalisateur des deux trips visuels qui ont suivi, son court-métrage FuckkkYouuu et son premier long métrage de fiction Perfect, n’a jamais cessé de travailler la même thématique: la lutte contre les démons intérieurs.
Dans FuckkkYouuu, Eddie Alcazar l’abordait à travers le récit intime et cauchemardesque d’une femme qui se confronte à sa propre monstruosité, laquelle se matérialise par une créature hybride, filmée dans un noir et blanc crépusculaire, habité par la musique de Flying Lotus et les influences assez claires d’Eraserhead mais aussi de Clive Barker. Ce trip visuel citant en préambule des vers du poème Elm de Sylvia Plath (connue pour ses poèmes introspectifs faisant écho à ses tourments intérieurs) trouve son prolongement naturel dans Perfect, qui pousse encore plus loin les expérimentations formelles d’un metteur en scène qui porte ses visions à l’écran avec la même radicalité qu’un peintre totalement habité par son œuvre. On pourra trouver le résultat extrêmement poseur pour peu que l’on n’entre pas dans un trip visuel permanent, laissant peu de répit, mais la thématique qui le traverse pousse sans cesse à une réflexion qui permet de prendre le recul nécessaire sur ces images pour en saisir la portée symbolique, aussi lourde et maladroite puisse-t-elle être parfois.
Perfect est le récit d’un jeune homme (Garrett Wareing) qui se rendant compte du crime qu’il vient de commettre, comme sortant d’un état second dans lequel ses démons avaient pris le contrôle sur son esprit et son corps, appelle sa mère (Abbie Cornish) à l’aide et se retrouve admis dans une mystérieuse clinique qui propose une complète reconstruction mentale à ses patients. Si l’on pouvait alors penser retrouver les images classiques des casques à électrodes futuristes réinitialisant le cerveau des patients, Eddie Alcazar propose une expérience beaucoup plus viscérale dans la mesure où il ne s’arrête pas à la seule idée abstraite de remplacer le mal par la vertu. Cette clinique qui promeut l’idée d’un être meilleur et même supérieur, exploitant tout son potentiel et débarrassé de ce qui l’empêche jusqu’alors de s’accomplir, propose un traitement plus physique que psychologique. Il s’agit littéralement de remplacer les parties corrompues de son corps par des parties pures. Le patient est invité à s’extraire lui-même des morceaux de chair en forme de cubes et les remplacer par d’autres cubes qui ont la pureté du cristal.
Cette façon très littérale et en même temps viscérale de traiter de la question des démons intérieurs, du renoncement à la partie la plus sombre de soi, à travers un récit de science-fiction hyper stylisé, noyé dans les nappes électroniques de Flying Lotus, surprend, convainc et déstabilise tout à la fois. Contrairement à Panos Cosmatos qui pour son premier film, Beyond The Black Rainbow, noyait son récit dans un (ego) trip visuel épuisant et répétitif le vidant de toute substance, Eddie Alcazar parvient à maintenir la connexion entre la forme et le fond, même si elle demeure fragile. S’il parle de la superficialité de nos sociétés, de notre vaine quête de perfection, jusqu’à celle que l’on projette pour ses enfants, il le fait avec un parti pris esthétique que l’on pourrait juger complaisant, adoptant les codes de cette société qu’il dénonce. Le soin quasi maniaque mis dans chaque plan, chaque choix de filtre de couleur, dans le rythme de sa narration, dans ces images calquées sur les pulsations de la musique de Flying Lotus, la faiblesse de certains dialogues « Malickiens » pourront faire passer Perfect pour un trip new age sans profondeur. Ce qui sauve l’ensemble c’est qu’il est porté par une énergie, quelque chose de beaucoup plus viscéral et sincère, un même attrait pour la monstruosité que pour la « perfection » et que l’on perçoit clairement la « voix » du metteur en scène travaillé de l’intérieur par son sujet.