Synopsis AlloCiné
New York – 1981. L’année la plus violente qu’ait connu la ville. Le destin d’un immigré qui tente de se faire une place dans le business du pétrole. Son ambition se heurte à la corruption, la violence galopante et à la dépravation de l’époque qui menacent de détruire tout ce que lui et sa famille ont construit.
Une mise en scène au service de l’histoire
Quand beaucoup de cinéastes s’efforcent de trouver un style immédiatement reconnaissable, Chandor privilégie toujours le récit aux effets de mise en scène, celle-ci ne parasitant jamais le propos. Ce qui me frappe c’est que depuis son premier film, il avance avec la même assurance, la même foi inébranlable en son histoire et ses personnages. Il serait pour moi l’inverse d’un David O’Russell, lequel je trouve, cherche systématiquement à surligner l’émotion par sa mise en scène et pousse ses acteurs dans un « sur jeu » souvent insupportable. Chandlor met sa mise en scène au service de son histoire et du parcours de ses personnages, le spectateur n’est jamais pris par la main ou en avance sur l’issue d’une scène. Un tel classicisme fait immanquablement penser à James Gray mais aussi à Sidney Lumet. Le rythme de la narration apparaît presque anachronique quand tant de films sont aujourd’hui parasites par des montages cut/épileptiques. Chandlor maintient le même rythme jusqu’au bout.
Le grand détournement?
A most violent year a ainsi déjà des airs de grands classiques. Il emprunte au cinéma de Lumet, a des accents Friedkiniens, la tranquillité et l’efficacité implacable d’un James Gray et Oscar Isaac fait immanquablement penser au Michael Corleone du 1er parrain. Nourri de toutes ces influences, il pourrait n’en être qu’une brillante relecture et peiner à imprimer son style et son point de vue. Je trouve qu’il évite cet écueil. Chandor s’attaque à un genre ultra codifié et référencé, assume ses influences parfois de façon très explicite ( à commencer par le cousinage d’Isaac et Chastain avec Pacino et Pfeiffer)et finit par imposer son style.
Pour prendre un exemple, je n’ai pas souvenir d’une course poursuite haletante aux termes de laquelle le personnage principal consent à laisser partir son « ennemi » sans rien obtenir de lui. Cette scène commence comme du « James Gray » (course poursuite entièrement filmée depuis l’habitacle d’un des véhicules), se poursuit par une longue course poursuite à pieds qui renvoie à French Connection 2, puis dans un métro aérien (qui fait immanquablement penser à French Connection) et sa conclusion est elle inédite et porte le sceau de Chandor.
Le souci du détail
La marque de fabrique de Chandor c’est aussi un exceptionnel talent à construire ses personnages, par petites touches, avec un incroyable souci du détail et sans user du moindre artifice. Dans All is Lost, combien de réalisateurs auraient usé de la technique du flashback ou des rêves pour donner corps au personnage de Redford? Ce n’était que par une somme de petits détails qu’on devinait la psychologie de ce personnage et son passé. Chandor fait là encore entièrement confiance en son récit, sa mise en scène et la capacité du spectateur à comprendre un personnage sans qu’il soit nécessaire de lui mettre une notice explicative sous les yeux.
Il opère de la même façon avec les personnages de A most violent year. Là encore , Chandor fait preuve d’un souci du détail qui me bluffe totalement et qui rend intéressant chacun de ses personnages dont on peut imaginer le background. En quelques instants, quelques lignes de dialogue, voire parfois en une seule scène tout est presque dit. L’exemple le plus parlant est bien évidemment celui d’Abel.
Mister American Dream
En commençant le film sur Abel faisant son jogging en écoutant du Marvin Gaye (en l’occurrence « Inner City Blues »), Chandor sort son personnage du stéréotype dans lequel on aurait vite été tenté de l’enfermer. Abel n’est pas vraiment le prototype du business man sans scrupules ,prêt à se salir les mains. Il apparaît comme un naïf ou pire comme un idéaliste, évoluant dans un milieu qui n’aura de cesse de mettre à l’épreuve son intégrité. Pour compliquer le tout, il a épousé une femme d’argent et de pouvoir qui est la parfaite caricature de son époque. Abel est en quelque sorte un « héros » Lumetien qui aurait épousé Elvira Hancock. Il écoute la musique de ses 20 ans et on devine qu’il porte encore tous les idéaux de sa jeunesse, voulant réussir dans un milieu corrompu sans jamais dévier de sa ligne de conduite.
Chandor « construit » le personnage d’Abel en évitant l’écueil du flashback ou d’une scène d’exposition interminable. Il opère ainsi par petites touches: Il s’agit donc du choix de la chanson avec laquelle il fait son jogging, mais aussi du choix de ses costumes et de son manteau, du soin avec lequel ce manteau est plié sur le canapé quand il attend d’être reçu par des concurrents auprès duquel il va solliciter un prêt, du discours qu’il tient à ses commerciaux.
Si on ne s’arrête pas sur ces détails, on peut avoir l’impression qu’il ne construit pas ses personnages que rien n’est dit sur leur passé, leur motivation, alors qu’au contraire tout est là sous nos yeux pour peu qu’on se donne la peine d’y prêter attention. Aucun personnage n’est sacrifié, n’est là pour jouer les utilités, être le faire valoir d’un autre.
Une femme d’influence
La relation d’Abel avec sa femme est dépeinte avec une rare justesse, même si Chastain est parfois « hors cadre » dans une interprétation un peu caricaturale ou calibrée pour les oscars. En une scène (le cerf percuté), Chandor pose clairement le rapport de force au sein du couple. Anna n’a pas d’états d’âme et agit quand Abel se pose la question du bien et du mal. C’est grâce à elle qu’Abel a accédé à la tête de la compagnie et on comprendra au fur et à mesure qu’elle ne se contente pas de compter les billets. Là encore si on veut comparer le film avec ses illustres aînés, le personnage d’Anna est inédit, les épouses étant globalement réduites à un rôle de simple figurante/faire valoir n’ayant en tout cas aucun pouvoir dans le business de leur mari.
Des seconds rôles très solides
Même si on est loin d’un film choral, peu de films savent laisser autant de place à des personnages qui ne sont à priori là que comme prétexte au développement de l’histoire du personnage principal. L’avocat joué par Albert Brooks n’a pas besoin de 10 scènes et de dizaines de pages de dialogue pour être passionnant.
Le procureur un peu trop curieux est interprété par le décidément toujours excellent David Oyelowo dont c’était la grande année et qui aurait mérité au moins une nomination aux oscars pour Selma.
Mais la grande surprise est venue d’un acteur qui m’était jusqu’alors totalement inconnu et qui interprète Julian, le chauffeur super poissard de la compagnie d’Abel. Il aura les honneurs d’une magnifique scène de poursuite à pieds et sera au centre de la fin en 3 chapitres voulue par Chandor.(Conclusion du deal/ fin de l’innocence/ protection et expansion de son « nouvel empire » )
Une conclusion magistrale
Cette fin semble poser problème à beaucoup de critiques, y compris parmi ceux qui ont aimé le film. Je la trouve pourtant d’une grande intelligence dans ce qu’elle montre de l’évolution d’Abel et de son probable avenir. Le destin tragique de Julian ne serait qu’une péripétie dont le scénario aurait pu se passer? !!!! ALERTE SPOILER !!!! (Là encore il s’agit de détails mais en un plan, un regard d’Abel, tout est dit. La mort de Julian qui l’admirait et qui en était quelque part le miroir n’est pas un évènement anodin. Enfin parvenu à conclure ce deal malgré toutes les embûches, le héros « Lumetien » semble désormais pouvoir/vouloir laisser ses idéaux de côté.)
Le dernier chapitre laisse quant à lui entrevoir jusqu’où s’étend la nouvelle ambition d’Abel qui à travers ces épreuves semble avoir gagné ses galons de « parrain ».
Il faudra sûrement du temps avant de pouvoir réellement décider si A Most Violent Year est un chef d’oeuvre mais avec toutes les qualités que je me suis efforcé d’énoncer, je pense déjà pouvoir dire que c’est un très grand film, peut être même le meilleur de 2014 après Interstellar qui est pour moi hors concours.