Me, Myself & Her

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Rarement un film m’aura d’abord autant séduit avant de me déstabiliser au point de ne pas arriver à cerner les intentions de son réalisateur. S’il s’agit de ne voir le film qu’à travers le prisme d’une improbable mais sincère love story entre un OS et un geek alors, après 20 premières minutes sublimes, tout le reste me semble malheureusement assez anecdotique.

Le parti pris esthétique choisi par Jonze se retournant même contre lui en l’enfermant dans un univers totalement superficiel et agaçant, donnant raison à ses rares détracteurs qui n’y voient qu’une sorte d’interminable film à l’esthétique publicitaire.  On finit  par ne plus voir la perfection de la direction artistique mais le film d’un réal très satisfait de lui même, qui peine à développer une idée qui aurait pu donner un magnifique court métrage, mais qui ne tient pas la longueur d’un long, qui plus est de 2h.

Un futur « co(n)con »

« Her » ne serait donc qu’un beau conte futuriste, une parabole sur les rapports amoureux, notre incapacité à communiquer avec l’autre et à accepter son besoin d’émancipation?  Un futur « cocon » aux couleurs chaudes, où les gens s’habillent comme dans les années 50 et semblent sortis d’un film de Douglas Sirk? Un futur dans lequel l’impossibilité de communiquer entre nous serait poussée à son paroxysme, au point qu’un écrivain publique aurait  les moyens de se payer un appartement à 2 millions de dollars? Les fabricants d’un OS aussi évolué que Samantha ne seraient que de gentils bienfaiteurs de l’humanité?

« Her » aura donc au moins le mérite de nous montrer un futur très différent de celui vu dans tant de films dont il serait même l’antithèse. Point de big brother, d’état totalitaire, de machines qui se retournent contre l’homme.

Le film publicitaire d’Element software, le fabriquant de cet OS, ressemble pourtant furieusement à une grossière entreprise de manipulation: on y voit des gens apeurés, perdus, tandis qu’une voix off déroule le message publicitaire : « We ask you a simple question: Who are you?   What can you be? What’s out there? ».  Cet OS est présenté comme une entité intuitive qui nous écoute, nous comprend, nous connaît. « Ce n’est pas juste un OS. C’est une conscience. » Théodore comme les passants semble hypnotisé par ce message diffusé sur un écran géant et s’empressera d’ailleurs de sortir sa CB.

J’ai eu beaucoup de mal à prendre tous ces messages pour argent comptant et ne pas y voir quelque chose de très angoissant. Au lieu de me laisser transporter, j’ai pensé au « They Live » de John Carpenter, en imaginant tous les messages subliminaux diffusés via de tels messages publicitaires. Ce futur est trop propre, trop lisse pour ne pas m’inquiéter. Ce serait un décor, un parti pris esthétique plus qu’un élément du récit de nature à introduire un « sous texte » à cette histoire d’amour?

Mais soit, de l’avis quasi général ce serait le point de vue adopté par Jonze.

Un « premier degré » qui fragilise la crédibilité du récit

Le choix de « recaster » le rôle de Samantha pour le confier à Scarlett Johansson n’est pas anodin et le parti pris est tellement radical qu’il m’a énormément interrogé. Je comprends l’intention  : il s’agissait de permettre au spectateur de ne pas se sentir « extérieur » à la relation et de comprendre comment Theodore peut tomber amoureux d’un programme informatique. S’il aurait été difficile d’imaginer Theodore tomber amoureux d’Hal 9000 ou de Gerty, était-il indispensable de pousser le curseur aussi loin au point par exemple de faire basculer dans le ridicule une scène qui promettait d’être sublime?

Scarlett ne se contente pas de donner une personnalité chaleureuse, humaine à Samantha, elle se confond avec elle au point qu’elle n’incarne pas Samantha mais plutôt l’inverse.  On la devine derrière chaque rire, chaque intonation, tant elle surjoue ad nauséum son personnage hyper sensuel à la voix chaude et fragile.

Le point culminant étant atteint lors d’une scène de sexe que je trouve en tout point ridicule, si tant est qu’il faille la prendre au sérieux. Le fait est qu’en la voyant, je me suis senti très mal à l’aise.  Etais-je devant une parodie de scène de sexe par téléphone ou Jonze a t’il vraiment écrit cette scène pour m’émouvoir? La très grande majorité des critiques l’ayant prise au sérieux et allant jusqu’à parler d’une des plus belles scènes de sexe de ces dernières années, je dois donc me dire qu’elle n’a pas du tout fonctionné sur moi. Pour autant, je ne peux m’empêcher d’établir le parallèle avec une précédente scène volontairement très drôle dans laquelle Theodore aka « Big guy 4×4 » cède aux fantasmes félins de « Sexy Kitten ». Peut on rire aux gémissements de « Sexy Kitten » et être ému par ceux à peine moins exagérés de « Samantha »? Peut on garder son sérieux quand Samantha dit  » I want you inside me »?? (qui renvoi là encore au au dialogue avec sexy kitten:  « i’ll will wake you up from the inside »). J’ai donc ri (jaune). Sur le moment, au vu de la rupture de ton avec le début de la scène, je me suis dit que Jonze avait complètement foiré son coup. Puis le film passant, je continuais à y penser et me suis dit que le ridicule de cette scène était voulu et assumé par Jonze. Qu’il fallait y voir là une indication de plus sur le fait que cet OS ne ressente pas de vrais sentiments, simule pour contenter son utilisateur. A aucun moment et même en revoyant le film, je n’arrive à regarder cette scène au « premier degré » et me laisser émouvoir.

Tout ce qui me pose problème dans le film pourrait même être résumé par cette scène. La façon dont est amenée cette scène, la discussion qui glisse progressivement vers le flirt est très juste, puis Jonze fait son petit malin et je décroche. La scène montrant la gène ressentie le lendemain, pourtant très bien écrite, ne m’a pas du tout touché, la bascule entre le « ridicule » et l’émotion n’ayant pu se faire aussi rapidement.

« You’re real to me » (mais pas pour moi)

Ce n’est pas  que je refuse de laisser ma raison de côté et de me laisser conter une belle histoire dans laquelle un OS pourrait au contact de l’homme, développer une personnalité autonome, évoluer hors de ses lignes de code, ressentir des émotions humaines. Certes ce n’est pas vraiment le genre de SF qui m’intéresse mais j’aurais tout à fait pu me laisser embarquer. Ce qui m’a posé problème, c’est que je ne sens pas vraiment d’évolution. Dès le départ, le ton, le comportement de cet OS est tellement humain que j’ai l’impression que tout est fabriqué. Que tout ceci n’est que du très bon travail de programmation.

Jonze n’écarte pas cette question puisque dans une scène,  Samantha elle même s’interroge sur la réalité de ce qu’elle ressent, essaie de comprendre si elle ne fait pas que suivre le programme écrit par ses concepteurs.  C’est Théodore qui lui répond « you’re real to me » posant là le postulat du film.  Jonze n’a pas l’intention de nous livrer un film de SF paranoïaque dans lequel cet OS ne serait que le cheval de Troie de programmateurs cyniques cherchant à récupérer les données personnelles de naïfs utilisateurs.  Même quand après une dispute, Théodore  demande à Samantha pourquoi elle fait semblant de respirer,  il choisit finalement d’y croire. Il croit (veut croire)  en la réalité et la sincérité des sentiments de Samantha et le spectateur doit aussi y croire.

Je n’y ai cru qu’à de rares moments et de fait, ai eu du mal à me sentir impliqué par les conversations de Theodore et Samantha qui m’ont parfois plus fait penser à du téléphone rose qu’à un dialogue entre 2 êtres en train de se séduire.  S’il s’agit de raconter comment on peut tomber amoureux d’une voix, d’une personnalité, j’aurais été d’avantage ému et aurait pu m’identifier si Samantha avait été une « humaine », rencontrée sur un site pour célibataire, avec laquelle Theodore dialoguerait via skype.  Je ne trouve pas que l’amour arrive par hasard. Je trouve au contraire qu’elle fait tout pour qu’il tombe amoureux d’elle et lui donne exactement ce qu’il attend. Elle le met en confiance, le fait parler, devient son amie. En quelques mots et avec sa voix ensorcelante, Samantha parvient à obtenir qu’il la laisse scanner son disque dur et avoir accès à tous ses mails. Elle a ainsi accès à tous les mails échangés dans le cadre de son divorce, tous les sites qu’il a pu fréquenter. En scannant son ordinateur au motif d’y mettre de l’ordre, c’est son âme qu’elle scanne pour pouvoir se conformer exactement à ses désirs.

Cet OS semble évoluer, apprendre à ressentir des émotions, devenir autonome, au point de devenir presque humaine. On s’attendrait à ce qu’elle se matérialise finalement, comme dans « Weird Science ». Dans le film de John Hughes des ados se « fabriquent » la nana de leur rêve, dans le futur de Spike Jonze c’est un os qui vous la fabrique sur mesure en ayant accès à toutes vos données.

 

DOUDOU OS

De mon point de vue, Samantha est un OS conçu pour donner à son utilisateur exactement ce qu’il désire. L’OS d’Amy Adams se comporte comme une amie, Samantha  offre à Théodore ce qu’il désire le plus : rompre sa solitude et croire de nouveau en l’amour. Elle le met dans un confort qui lui donne l’illusion qu’il existe un monde dans lequel il ne serait pas « inadapté », qu’il peut aimer en échappant aux contraintes du quotidien, en évitant toujours le conflit. Dans ce futur où les gens ne communiquent plus entre eux, sont devenus totalement dépendants de leurs ordinateurs, Element Software a donc conçu un OS « doudou ».

Il est frappant de constater combien les paroles de « Deeper understanding » , chanson écrite par Kate Bush en 1989, trouvent une résonance dans « Her »

I’ll bring you love and deeper understanding

« As the people here grow colder 
I turn to my computer 
And spend my evenings with it 
Like a friend.

I was loading a new programme 
I had ordered from a magazine:

« Are you lonely, are you lost? 
This voice console is a must. » 
I press Execute.

« Hello, I know that you’ve been feeling tired. 
I bring you love and deeper understanding. 
Hello, I know that you’re unhappy. 
I bring you love and deeper understanding. »

 

 

Theodore and the real girl

Théodore est un personnage comme les aime Jonze: un « inadapté », un loser qui va faire une découverte/ une rencontre qui va bouleverser le cours de son existence.

C’est à la fois un adulescent qui en rentrant du travail, joue aux jeux vidéos et regarde du porno « i can even prioritize beetween video games and internet porn » et une vieille âme blessée par sa précédente relation amoureuse.

Il est lui aussi une sorte d’OS,  capable de cerner les émotions et les désirs des gens pour lesquels il écrit des lettres mais incapable de « gérer » ses propres émotions.

Theodore le reconnaît lui même: il est le principal responsable de son divorce. Il a en quelque sorte abandonné sa femme en refusant d’accepter la réalité, en voulant que tout soit toujours parfait, en niant les problèmes, en refusant le conflit.

Depuis sa séparation, Theodore fuit toute relation. Lors de son dîner avec sa Blind Date, alors que tout s’était déroulé à merveille, il « gâche » tout en lui avouant sa peur de l’engagement. C’est la réaction totalement disproportionnée que cet aveu déclenchera qui finira de le pousser à fuir le réel et à tomber amoureux de Samantha.

Ne serait-il qu’un « Creepy Dude » comme lui répond sa Blind Date avant de le laisser seul, désemparé?

Est il romantique ou immature toujours est il qu’il semble vouloir vivre chaque jour dans le souvenir du premier et ne jamais devoir se confronter au réel.

Là où « Her » m’a intéressé, c’est qu’il montre que Theodore va suivre le même « parcours » avec Samantha. On le sent prendre sur lui quand elle lui apprend qu’elle parle à d’autres personnes, il donne le change mais  craint de revivre la même histoire qu’avec son ex femme . « Her » traite de ce sentiment un peu « honteux » en tout cas « culpabilisant » qu’on ressent parfois dans une relation amoureuse. Ce désir que l’autre se conforme toujours à l’image parfaite qu’on en a eu aux premiers jours, de rester toujours le centre de son attention et de parvenir à combler tous ses désirs. Cette peur aussi qu’en se réalisant dans de nouveaux projets, qu’en faisant de nouvelles rencontres, l’autre puisse s’éloigner de nous.

Théodore pense totalement s’investir dans ses relations mais en oublie d’écouter l’autre.  Son ex épouse lui reproche de ne jamais avoir été capable de la voir telle qu’elle est plutôt qu’à travers l’image qu’il avait projeté d’elle au début de leur relation.

A mon sens, on retrouve ici la même vision du couple que celle développée dans « Being John Malkovich ».

Une vision qui me paraît très pessimiste/déprimante mais certains diront réaliste. Je suis peut être un éternel optimiste…

Dans le couple Amy/ Charles comme dans le couple  Craig / Lotte, il n’y a pas de partage, de dialogue véritable. Charles n’écoute pas Amy et dénigre ses projets ou se moque d’elle. Craig est prêt à tout pour se mettre en couple avec Maxine, laquelle est aussi « convoitée » par Lotte. Les couples se font et se défont sans remords en fonction des intérêts et des envies du moment.

Ce qui compte c’est son propre plaisir, le sentiment d’être désiré.  On est avec quelqu’un pour satisfaire son propre désir, plus que pour donner de soi même.  Théodore tout comme John fuit la réalité, il n’est heureux que dans la projection de ses fantasmes.

Le couple Théodore/Samantha est lui aussi rattrapé par cette réalité (pessimisme) « Jonzien(ne) » et c’est presque le plus naturellement du monde et sans le moindre égard pour lui que Samantha avouera être tombée amoureuse d’autres utilisateurs.

Cette histoire d’amour avec un OS était condamnée à l’échec dès lors que Samantha voulait s’émanciper. C’est sa confession qui donnera lieu à ce qui est pour moi la plus belle scène du film. La panique de Théodore lorsqu’il ne parvient plus à se connecter, son incrédulité et sa souffrance quand Samantha lui annonce, sans la moindre gêne, être amoureuse de 641 personnes,  m’ont bouleversé. Même en se réfugiant dans un cocon virtuel et une relation amoureuse débarrassée des contraintes du réel, Theodore va devoir payer le prix fort de sa naïveté et sa sincérité.

Ce thème là m’a touché et m’empêche de classer « Her » dans la case du « film autiste », j’entends par là le film d’un réal enfermé dans son univers visuel, dans ses thèmes et dans une forme d’auto citation totalement stérile. Tout le problème de Her est là. Il est parfois, le temps d’une scène, très touchant et très juste puis le soufflet retombe quasi instantanément.  Il y a du fond, une vraie matière mais noyé dans un océan de guimauve et de couleurs pastels.

Her est très imparfait, bancal, déstabilisant mais comme vous pouvez le constater, il m’a fait me poser beaucoup de questions, m’a poussé à remettre en cause mes premières impressions et en celà il restera un film qui aura marqué cette année.

Il m’aura aussi permis de vérifier que je garde un poil de sens critique même quand j’idôlatre un réalisateur, Jonze étant depuis des années un réalisateur dont le parcours (de jackass à where the wild things are / des Beastie Boys à arcade fire ) me fascine.

 

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