[CRITIQUE] Arès (2016) – Jean Patrick Benes [B+]

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De scénariste d’une petite comédie générationnelle devenue culte: « quatre garçons plein d’avenir » (1997) ,  mais aussi entre autre de « Vilaine » (2007),  à metteur en scène d’un film de science fiction produit par la Gaumont, dont on attend, ni plus ni moins, qu’il réveille ce genre qui fait figure de bel endormi du cinéma français, Jean-Patrick Benès semble s’être lancé dans un grand écart aussi inattendu que risqué. Revendiquant des influences allant de Carpenter à Cuaron, fan du genre depuis son adolescence, il s’avère heureusement qu’il était bien préparé à relever ce défi et tout à fait conscient des limites imposées par un budget qui n’a rien à voir avec celui des productions qui l’ont influencé.

Avec son petit budget, Arès doit son efficacité à un scénario réduit à l’os et traité avec un subtil dosage de premier degré totalement assumé et de second degré salvateur allégeant le récit sans pour autant le vider de ses enjeux dramatiques. Sur le papier cette histoire de dur à cuire, taiseux, devant sauver sa soeur et qui se retrouve flanqué de ses deux nièces, ressemble à la formule d’un bon vieux actionner des années 80/90. Le pitch très basique est injecté dans un récit de science fiction au postulat efficace, dont la résonance avec l’actualité lui donne une certaine crédibilité: l’Etat ayant fait faillite, les grands groupes financiers ont pris le contrôle total d’une économie dont l’ultra libéralisme sans limite a fait exploser le chômage et transformé des quartiers entiers du Paris de 2035 en un gigantesque bidonville. Notre badass au grand coeur est une ancienne star (devenue has been) d’Arena, un sport de combat, sorte de version cauchemardesque du free fight où les participants dopés, servent de produit d’appel à des laboratoires au cynisme sans limite qui mettent en valeur les nouveaux produits qui seront ensuite commercialisés.

 

Cette version d’un sport sans spectateurs, pratiqué par des athlètes dopés rappelle la vision d’Enki Bilal dans sa BD Hors-Jeu présentant des footballeurs bourrés de produits chimiques et dotés de jambe artificielle.

Une loi ayant mis fin au principe de l’indisponibilité du corps humain, chacun est libre de commercialiser son corps ou plutôt, contraint pour des raisons économiques à accepter de devenir un cobaye pour les multinationales pharmaceutiques travaillant à la mise au point d’une molécule transformant le salarié en stakhanoviste docile. Arès adopte donc une formule souvent gagnante en matière de science fiction: partir d’une réalité et des inquiétudes traversant la société pour livrer une vision cauchemardesque d’un futur dans lequel le scénario catastrophe se serait réalisé.  Ce Paris de 2035 matérialise nos peurs de même que le New York 1997 de John Carpenter disait aussi quelque chose de l’état de la société américaine à la fin des années 70.

Jean-Patrick Benes s’attache à rendre crédible ce futur dystopique, en faisant une utilisation raisonnée et intelligente de ses effets spéciaux. Le paysage urbain est dominé par les nombreuses tours des multinationales, auxquelles l’Etat a accepté de laisser le droit de vie et de mort sur ses citoyens. Des écrans géants recouvrent de nombreuses façades et diffusent les combats ultra violents des gladiateurs/cobayes/têtes de gondole des laboratoires pharmaceutiques. Les images de parisiens vivant dans des tentes au milieu de Paris, sont en fait des images tournées pendant la révolution ukrainienne et notamment l’occupation de la place Maïdan à Kiev. Leur « intégration » dans ce paris futuriste est parfaitement réussie. Point de gadgets révolutionnaires ou de voitures volantes, Arès s’attache avant tout à livrer une vision de l’état économique et social de la société française de 2035. En cela, bien que certains le qualifient de « Blade Runner » français, Arès lorgne, à notre avis, plus du côté de Soleil Vert (Richard Fleischer, 1973) ou des fils de l’homme (Alfonso Cuaron, 2006). S’agissant de ses influences françaises, on pense à Fahrenheit 451 (François Truffaut, 1966) et l’excellent le prix du danger (Yves Boisset, 1983).

Pour autant ce souci de crédibilité, n’empêche pas Benes de se lâcher notamment à travers une fausse campagne alertant des dangers sur la santé d’un lait bourré d’hormones que consomme Arès, comme certainement des centaines de milliers de français; ou sur une fausse publicité pour une émission promettant une importante somme d’argent au chômeur qui tiendra le plus longtemps face à un free fighter.

Comme son personnage éponyme, Arès a un côté bourrin qu’il assume totalement, poussant le trait dans la mise en scène des combats et la caractérisation des combattants dont les noms font sourire (« La Masse », « Panzer », …) et qui n’ont pas à rougir de la comparaison avec Ivan Drago. Ola Rapace a la carrure et le charisme pour interpréter ce personnage brut de décoffrage mais pas bas du front. Son jeu est certes limité et certaines de ses répliques tombent un peu à plat, mais le scénario lui a réservé quelques punchlines savoureuses qui font souvent mouche. Si on ne boude pas son plaisir c’est grâce à ses personnages secondaires qu’Arès prend de l’épaisseur et se démarque de ce qui ne serait alors qu’un actionner efficace mais vite oubliable. Ses deux nièces: une petite futée et une adolescente rebelle sont des archétypes attendus dans ce genre de récit, elles ne viennent pas apporter un sentimentalisme convenu et humanisent Arès. De même, le personnage de Myosotis, le voisin travesti au grand coeur, aurait pu être purement fonctionnel et même embarrassant s’il n’était interprété par l’excellent Micha Lescot (membre de la comédie française) qui ne tombe jamais dans la caricature ou la vulgarité. Il apporte une touche d’excentricité bienvenue dans ce récit très chargé en testostérone et ses échanges avec Arès, bien que brefs, sont toujours drôles. Louis Do de Lencquensaing campe quant à lui, un excellent patron cynique, obsédé par les bénéfices de la société qui sponsorise Arès, qui se fait tout petit quand les actionnaires lui demandent de rendre des comptes.  Comme nous le disions pour le personnage de John Malkovich dans « Deepwater », le PDG de Donevia est l’archétype du salaud dont on attend qu’une chose: que le héros vienne lui coller son poing dans la figure à la fin du film.

Arès évolue toutefois souvent sur un fil et la bascule ne se fait pas toujours avec une grande légèreté si bien qu’il arrive que l’on s’interroge quand le récit revient à un premier degré qui apparaît un peu surjoué au regard de la rupture de ton opérée. Il n’est pas certain que l’effet comique de quelques répliques soit voulu mais ce n’est à vrai dire pas vraiment dérangeant.

Le scénario d’Arès bien que se concentrant sur l’essentiel, c’est à dire à la quête de son personnage principal, réserve quelques surprises bienvenues qui maintiennent constamment l’intérêt du récit. Comme dans tout bon actionner, les salauds et les trahisons ne manquent pas mais on ne perd pas de vue la dimension plus politique du récit et c’est une des grandes réussites d’un film très malin qui parvient à iconiser son héros aux termes d’un dernier tiers assez emballant.

Le miracle s’est donc réalisé, Arès n’est pas un chef d’oeuvre qui marquera l’histoire du genre mais est une belle réussite, dont on sent toutes les inspirations sans en voir le décalque à l’écran et qui espérons le, convaincra d’autres producteurs de se lancer dans l’aventure.

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