Synopsis:
Sur la plage de Coney Island, près de New York, Lora Meredith, une jeune mère célibataire aspirant à devenir actrice, rencontre Annie Johnson, une sans-abri noire s’occupant elle aussi seule de sa fille. Les deux femmes sympathisent et Lora propose bientôt à Annie de rester chez elle, devenant ainsi la nourrice et la domestique de la maison. La fille d’Annie, Sarah Jane, semble ne pas supporter la couleur de sa peau à une époque où cela l’exclut socialement; elle est jalouse de Susie, la petite fille blonde de Lora. Cependant, les deux enfants grandissent ensemble, comme de véritables soeur. Son père était pratiquement blanc : Sarah Jane a donc la peau très claire et se fait passer pour blanche, provoquant la tristesse de sa mère. Les années passant, Lora devient une véritable star de Broadway. Mais elle a dû sacrifier sa vie personnelle, ne pouvant s’occuper de Susie et refusant la demande en mariage du seul homme qu’elle ait jamais aimé, le beau photographe Steve Archer…
Le Dernier film hollywoodien de Douglas Sirk, sous un épais vernis mélodramatique qui lui valu un accueil critique glacial et qui explique, qu’il aura fallu des années pour qu’il soit enfin considéré comme l’une de ses oeuvres majeures, dresse un portrait de la société américaine des années 50, dans laquelle derrière la vitrine d’une amérique triomphante, au sommet de sa puissance économique et de son rayonnement culturel, toute une partie de la population se voit exclue, en raison de sa couleur de peau, du fameux rêve américain.
Imitation of life met en parallèle deux ambitions qui en disent long sur la fracture qui parcoure alors la société américaine. Côté pile, « le rêve américain « : l’ambition de Lora Meredith (Lana Turner dont c’est le retour après le scandale qui faillit briser sa carrière, suite au meurtre de son compagnon, le gangster Johnny Stompanoto, poignardé par sa fille avec laquelle il aurait entretenu une liaison ), une veuve vivant seule avec sa fille dans un modeste appartement new-yorkais ,peinant à payer ses factures, qui rêve de devenir une star de Broadway. Côté face: « le cauchemar américain » ou l’ambition d’une jeune fille, Sarah Jane (Susan Kohner), d’échapper à son destin, de ne pas être discriminée en raison de ses origines afro américaines et d’avoir simplement les mêmes chances que n’importe quelle jeune fille blanche. Pour Lora comme pour Sarah Jane, leur ambition passe par le « sacrifice » de leur famille et chacune va s’atteler à jouer un rôle pour arriver à ses fins. En faisant se croiser ces deux destins, ces 2 visages de l’amérique, Imitation of Life a valeur de document sur cette société qui permettait à quelques uns d’atteindre leurs rêves, quand elle privait les autres de l’essentiel, c’est à dire de leur dignité.
Sous les habits d’un mélo flamboyant, c’est un film sur les faux semblants (Lora se rêve en actrice, Sarah Jane en jeune fille blanche) qui s’appuie sur des personnages complexes, qui ne sont pas les archétypes que le début du récit semble dépeindre. Cette complexité permet une grande richesse thématique qui dépasse le discours sur la discrimination raciale et traite aussi de la quête d’identité des enfants issus d’une union mixte et de la maternité. Imitation of life est un merveilleux titre mais ses personnages féminins sont tellement forts et couvrent un spectre thématique si large que le film aurait pu s’appeler 3 women (comme le chef d’oeuvre de Robert Altman sorti 18 ans plus tard).
Lora est à la fois cette actrice dévorée par l’ambition, au point de négliger sa vie personnelle et son rôle de mère mais aussi cette femme profondément généreuse qui accueillera Annie et sa fille chez elle, ne leur donnant pas seulement un toit, mais le respect et l’affection dont elles étaient privées en raison de leurs origines. Comme Lora, Annie élève seule sa fille mais lui sacrifie tout, n’a pas d’autre ambition que de lui assurer une vie meilleure que la sienne et d’avoir de belles funérailles. Si Lora est une mère qui sacrifie sa fille à son ambition personnelle, Annie (Juanita Moore) est une mère sacrificielle et sacrifiée. Le personnage de Sarah Jane n’a, quant à lui, pas pour seule fonction que de porter un discours sur le racisme de la société américaine. Elle en est une victime depuis sa naissance mais sa personnalité torturée est un frein tout aussi important à son épanouissement. Elle est issue d’une union mixte, entre sa mère, modeste afro américaine qui vit de ménages et un père, parti avant sa naissance, dont elle n’aura hérité que de la couleur de peau. Il faut rappeler qu’à cette époque, les unions mixtes sont encore très mal perçues, beaucoup d’Etat interdisant même les mariages mixtes, jusqu’à ce que la Cour Suprême juge en 1967, qu’une telle interdiction était inconstitutionnelle (dans la fameuse affaire « Loving Vs Virginia », sujet du nouveau film de Jeff Nichols). Sa couleur de peau lui offre la possibilité de s’affranchir de sa condition, à condition de cacher son ascendance. A la cruauté de ses camarades et l’injustice de cette société, elle répond par une grande cruauté à l’égard de sa mère et de l’ingratitude à l’égard de Lora qui ne l’aura pourtant jamais fait sentir différente. La couleur de peau de sa mère trahit ses origines qu’elle considère, à juste titre, être un obstacle à son bonheur. Une scène d’une grande cruauté viendra d’ailleurs nous rappeler que les craintes de Sarah Jane ne sont pas toutes infondées.
Plus que peut être dans n’importe quel autre film de Douglas Sirk, la forme flamboyante, le jeu parfois emphatique des acteurs, forment un écrin derrière lequel se cachent des sentiments d’une grande complexité et donc aussi d’une grande cruauté. La forme sublime ne contamine pas le fond qui n’est en rien artificiel ou compassé. Elle apporte même un sous texte qui l’enrichit. La garde robe de Lora, sublime (au point qu’elle fut à l’époque l’une des plus chères de l’histoire du cinéma) souligne de façon ironique son ambition et ses rêves de grandeur. Devenir une star de Broadway est plus un rêve de petite fille que la volonté d’exceller dans le métier qui la passionne. Son ascension constitue le coeur de la première partie du film, alors construit comme un « rise and fall movie » dans lequel Annie est une fidèle amie, s’occupant de Susie comme de sa propre fille. S’il y a bien une chute dans la seconde partie du film, ce ne sera pas celle de Lora mais celle de Sarah Jane, laquelle devenue une adolescente plus mature et sexuée que Susie, voudra s’émanciper et ne supportera plus d’être ramenée à ses origines. Mais c’est véritablement Juanita Moore (Annie) qui vole la vedette à tout le monde et se révélera être le plus beau personnage du film, lumineuse et bouleversante de justesse. Ce n’est que justice qu’elle soit au coeur de la plus belle scène du film mais aussi la plus flamboyante et certainement l’une des plus fameuses de toute la filmographie de Douglas Sirk. Avec le recul, sachant qu’il s’agit de la dernière scène de son dernier film hollywoodien, on se dit qu’il ne pouvait pas réussir un plus bel adieu, condensant à la fois sa formidable maîtrise technique et sa justesse inégalée dans le traitement de l’émotion. Imitation of Life est un de ses plus gros succès commerciaux et a eu un tel impact qu’il a même inspiré une chanson de Diana Ross (i’m living in shame) puis, bien des années plus tard, de Rem (Imitation of life).
Aujourd’hui reconnu à sa juste valeur par la majorité des critiques, c’est un de ses classiques sur lesquels le temps n’a aucune prise, un monument que sa sortie en salle vous permettra de (re) découvrir.