Synopsis: Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents. Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux. Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.
Un reproche souvent fait au cinéma français, en pointant notamment le fait qu’il s’agit d’une différence notable avec son cousin américain est cette difficulté à se saisir de sujets brûlants, qu’il s’agisse de faits récents ou d’événements qui ont laissé des blessures profondes dans la société française. Il s’agit à vrai dire plus d’une frilosité des producteurs liés au mode de financement des films, que d’une absence de volonté des scénaristes et réalisateurs. Ne serait-ce que pour cette raison, la sortie de Nocturama qui plus est mis en scène par un réalisateur aussi respecté et établi que Bertrand Bonello est un événement.
Oublié ou écarté de la sélection officielle du festival de Cannes selon les versions (Thierry Frémaux prétendant ne pas avoir vu le film, quand Bertrand Bonello confirme qu’il a bien été visionné par le comité de sélection), volontairement oublié par la quinzaine des réalisateurs (Edouard Waintrop affichant son désaccord avec le contenu politique du film), précédé d’une réputation sulfureuse en raison de son script écrit en 2010 mais qui fait écho avec la vague d’attentats qui a frappé notre pays depuis novembre 2015, Nocturama est un OVNI dans le paysage cinématographique français, un film d’une puissance et d’une radicalité qui vous saisissent dès la première scène.
Après avoir posé son regard sur l’une des plus belles réussites du capitalisme français en ne faisant toutefois pas preuve de complaisance et en s’attardant sur les aspects les plus sombres (ses détracteurs diraient plutôt ses aspects les plus spectaculaires) de la personnalité d’Yves Saint Laurent, Bonello fait le grand écart, quittant les salons mondains pour ce récit, condensé en 24 heures, du passage à l’acte de jeunes garçons et filles en révolte contre la société.
Bonello pose un geste cinématographique fort en s’emparant d’un sujet brûlant (même si le scénario est antérieur à l’attentat de Charlie Hebdo et que ces attentats ressemblent à ceux d’action directe et non à ceux de Daech) et en ne cédant rien de son intention de le mettre en scène sans donner de mode d’emploi ou de mot d’excuse. Sa caméra est le témoin et non le juge du parcours de ces jeunes, d’âges et d’origine sociale divers mais réunis par une même rage dont on ne nous dit pas la cause. L’origine du mal qui les ronge et les pousse à commettre ces attentats n’est pas explicité, rendant la violence encore plus abstraite, plus absurde. Les 20 premières minutes du film sont un ballet minuté parfaitement millimétré, quasi sans paroles, où la caméra suit l’exécution du plan de ces personnages qui ont parfaitement coordonné leurs déplacements, se croisent furtivement dans un métro, se séparent, pour se retrouver dans différents points stratégiques, sans jamais se faire remarquer. Sans connaître leur motivation et leurs objectifs, on est happé par la virtuosité de la mise en scène, passant de l’un à l’autre de ces petits soldats parfaitement préparés, dont la mission ne semble pas pouvoir être contrariée. Puis le temps de courts flashbacks parfaitement insérés dans le récit, Bonello nous donne quelques bribes d’éléments sur le profil de ses personnages et le lien qui unit certains d’entre eux. Qu’ils se soient rencontrés à science-po, au pôle emploi ou sur les bancs d’une cité, qu’ils soient amoureux, frères et soeurs, amis ou simples connaissances, ils ne seraient sans doute jamais passé à l’acte individuellement et c’est dans ce groupe présenté comme très uni, transcendant les différences d’age et de milieu social, qu’ils accomplissent ce qui semble être la mission de leur vie, agissant en parfaits petits soldats. Bonello s’amuse à brouiller les pistes, un leader semblant pouvoir être identifié avant qu’un autre flashback nous fasse reconsidérer notre avis en nous montrant l’influence d’un autre personnage sur le groupe. Il laisse le spectateur libre d’écrire entre les lignes, distillant juste ce qu’il faut d’informations sur les uns et les autres, leur objectif, pour que ce récit ne soit pas frustrant mais que chacun de ces jeunes reste intriguant, ce qui permet de rester avec eux, témoin et non juge de leurs actions. Il n’y a pas de place pour le manichéisme quand la menace est ainsi personnifiée par des jeunes gens venant d’horizons aussi divers. L’ennemi n’est pas identifiable et est parfois même un pur produit du système auquel il s’attaque et donc il a bénéficié. Comment expliquer qu’André (Martin Petit-Guyot) , ce jeune élève de science po qui envisage de préparer l’ENA, féru d’histoire, venant d’un milieu bourgeois et connaissant personnellement le ministre de l’intérieur puisse avoir un jour l’idée de s’attaquer aux symboles de l’Etat et du capitalisme? De même pour Sarah (Laure Valentinelli) qu’il aide à préparer le concours d’entrée à sciences po. L’hétérogénéité de cette menace fait flotter sur le film un climat insurrectionnel qui dépasse le simple cadre du récit de ces personnages. On ne sait pas pourquoi ça a commencé et on ne sait pas où ça s’arrêtera, on est plongé dans un thriller très efficace dont la portée politique nous interpelle. On pense à Elephant pour sa radicalité, s’il n’y avait aucun dialogue dans le film de Larry Clark, Nocturama dans sa première partie, les réduit au strict minimum, toujours en mouvement, collé à ces personnages jusqu’à l’accomplissement de la mission qu’ils se sont assignés. On pense aussi à fight club pour la dynamique de ce groupe hétérogène uni. Pour incarner ces personnages, Bonello aura eu la bonne idée de prendre des acteurs qui pour la plupart sont inconnus, à l’exception de l’excellent Vincent Rottiers (Greg) vu notamment dans Dheephan et Bodybuilder et de Finnegan Oldfield (David) la révélation des cowboys de Thomas Bidegain.
