[CRITIQUE] Desierto (2016) – Jonas Cuaron [B+]

Desierto-Teaser-Poster-Gael-Garcia-Bernal-slice.jpg

Désert de Sonora, Sud de la Californie. Au cœur des étendues hostiles, emmené par un père de famille déterminé, un groupe de mexicains progresse vers la liberté. La chaleur, les serpents et l’immensité les épuisent et les accablent… Soudain des balles se mettent à siffler. On cherche à les abattre, un à un.

Après s’être fait un prénom grâce à Gravity, en co-écrivant le scénario avec son père puis en réalisant le court métrage Aningaaq qui était le contre champ de la scène où Sandra Bullock parvenait à communiquer quelques instants avec la terre, Jonas Cuaron revient à la réalisation pour un 2ème long métrage (son 1er, Ano Una date de 2007) qui fleure bon la série B , n’a pas honte de ce qu’elle est et s’assume dans un souci constant d’efficacité.

Son parti pris est,dans une démarche proche de celle du cinéma américain des années  70, d’utiliser le genre pour aborder un sujet éminent politique et tristement d’actualité: l’immigration clandestine mexicaine aux USA et la porosité de la frontière, poussant de nombreux candidats à tenter leur chance, parfois au péril de leur vie.

Gabriel Garcia Bernal (Moïse) est l’un d’eux. Se retrouvant à devoir traverser à pied le désert avec un groupe de clandestins, après que la camionnette de leur passeur soit tombée en panne, il va croiser la route de Jeffrey Dean Morgan qui les prendra en chasse, armé de son fusil et accompagné de son chien « Tracker ».

Jeffrey Dean Morgan (Sam) est un vigilante, probablement un de ces « Minutemen » (groupe de citoyens armés traquant les clandestins) qui patrouille le long de la frontière mexicaine. Une frontière presque virtuelle se limitant à une mince barrière de barbelés, le desert qu’il faut traverser constituant à priori un obstacle suffisamment dissuasif. Sam est écrit comme un personnage de série B, limité à son rôle d’antagoniste sans pitié (on ne sait rien de sa vie, de ses motivations), patrouillant dans une camionnette qui ressemble à celle de Colt Sivers (« l’homme qui tombe à pic ») et accompagné de son cher « Tracker », chien dont l’aptonyme laisse peu de doutes sur la façon dont il a été dressé.

Jonas Cuaron se garde toutefois bien d’iconiser Sam et le montre dans toute sa lâcheté meurtrière et sa faiblesse. Le policier qui l’arrête dans les premières minutes du film et qui lui demande son permis de chasse, finira par renoncer à employer la force, devant le refus de celui qu’il semble considérer comme un redneck bas du front , un chasseur de lapins qui ne représente aucun danger. Cette scène est aussi une façon de rappeler que la police ferma longtemps les yeux sur les agissements pourtant bien connus de ces « Minutemen » qui ont par ailleurs poussé le parti Républicain à adopter une ligne très dure sur l’immigration mexicaine. Si Sam n’est pas une menace aux yeux des autorités, il l’est en revanche pour ces immigrés dont la course sera stoppée nette par les balles de son fusil ou les crocs de « Tracker ».

De même que Samuel Fuller qui dans « White Dog » faisait de ce chien dressé a tuer une représentation du racisme et de la lâcheté de l’homme, Jonas Cuaron ne fait pas de « Tracker » qu’un chien fou, qu’un cousin de « Cujo » tuant aveuglément. Ce chien est l’instrument de son maître qui l’a dressé à traquer et tuer les immigrés clandestins comme les lapins.
Plus rapide, plus menaçant que lui, il s’en sert comme une arme, le véhicule de sa haine en même temps qu’il reporte sur lui toute son affection. Jeffrey Dean Morgan est parfait en ce qu’il réussit à incarner un bad guy très charismatique, crédible dans la menace qu’il représente mais suffisamment « fucked up » et lâche pour éviter l’iconisation.

Pour incarner Moïse, Jonas Cuaron a casté Gabriel Garcia Bernal qui tenait deja le 1er role du 4eme long metrage d’Alfonso Cuaron, « y tu mama tambien ».

Outre le fait de caster un acteur dont la gueule d’ange, la sensibilité et la popularite au mexique et aux usa sont des atouts indéniables dans la construction dramatique de son film et l’efficacité de l’opposition avec Jeffrey Dean Morgan, Jonas Cuaron a casté un acteur très investi sur le sujet de l’immigration clandestine mexicaine qui  venait de terminer la production du documentaire « who is Dayani Cristal? » ( suivant le parcours de ces immigrés risquant leur vie pour traverser le désert de Sonora et rejoindre les USA). Dans un rôle où il n’a pas beaucoup de dialogues, le charisme et la justesse de Gabriel Garcia Bernal suffisent à rendre son personnage attachant, à espérer qu’il s’en sorte et donc à entrer complètement dans la mécanique du film.

Cette chasse à l’homme se déroule entièrement dans les immenses espaces désertiques du sud de la Californie. Plus qu’un décor, ce désert est un personnage à part entière, la topographie du lieu guidant les actions des protagonistes. Dans ce désert comme dans l’espace, personne ne peut vous entendre crier. Il n’y a nulle part où se cacher et il est impossible de s’échapper autrement que par la fuite.  La mise en scène exploite parfaitement la topographie du lieu, ne laissant quasiment aucun espoir aux clandestins que leur « chasseur » aura toujours dans son viseur, jusqu’à une confrontation finale, brillante, rappelant celle de la mort aux trousses.

Le mérite et la réussite de Jonas Cuaron est de ne pas avoir abordé la série B avec des gants blancs et au contraire d’avoir plongé les 2 mains et les avant bras dans le genre. Ses 2 antagonistes sont caricaturaux, il n’édulcore pas la violence, les balles arrachent des morceaux de chair, stoppent net la fuite de leurs cibles alors que la camera poursuit sa course. Les scènes d’attaque du chien sont particulièrement impressionnantes, la mise en scène capte la vitesse de ses courses et la puissance de ses assauts, ne cache rien de la cruauté de ses morsures.

Jonas Cuaron ne craint pas que son récit de chasse à l’homme soit pris au premier degré, comme une série B efficace mais un peu limitée qui ne développerait pas ses personnages. Il ne tombe pas dans le piège de se laisser prendre en otage par son sujet et de chercher à justifier, expliquer la violence jusqu’à prendre ses distances, se mettre en surplomb des actions de Sam pour ne pas se voir accuser de complaisance.

Les clés sont là suffisamment visibles pour qu’il ait pu se permettre de faire l’économie de longues scènes expliquant les motivations et le parcours des personnages (tout juste apprend on les circonstances qui ont poussé Moïse à vouloir passer illégalement la frontière). Les dialogues sont rares, le mouvement perpétuel et la tension monte crescendo pour culminer dans deux scènes vraiment formidables.

Jonas Cuaron réalise une série B, sèche, sans concession, viscérale et d’une efficacité redoutable. Libre à chacun de vouloir s’arrêter et prendre du plaisir ou être rebuté (parfois même sadique) par la mise en scène très efficace et la violence viscérale d’un film dont le sous-texte permet de nourrir la réflexion sur un sujet qui sera  un enjeu essentiel de la prochaine élection américaine.

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s