Banquier d’affaires ayant brillamment réussi, Davis (Jake Gyllenhaal) a perdu le goût de vivre depuis que sa femme est décédée dans un tragique accident de voiture. Malgré son beau-père (Chris Cooper) qui le pousse à se ressaisir, il sombre de plus en plus. Un jour, il envoie une lettre de réclamation à une société de distributeurs automatiques, puis lui adresse d’autres courriers où il livre des souvenirs personnel. Jusqu’au moment où sa correspondance attire l’attention de Karen (Naomi Watts), la responsable du service clients. Peu à peu,une relation se noue entre eux. Entre Karen et son fils de 15 ans (Judah Lewis), Davis se reconstruit, commençant d’abord par faire table rase de sa vie passée…
Enchaînant les films à un rythme soutenu (Young Victoria, le café de Flore, Dallas Buyers Club, Wild) depuis le succès critique et publique de Crazy qui lança pour de bon sa carrière en 2006, Jean-Marc Vallée poursuit son exploration de la psychée humaine avec un scénario de Bryan Sipe qui figurait sur la fameuse blacklist d’Hollywood, recensant les scénarios les plus appréciés de la profession mais non encore adaptés.
Si de nombreux films ont traité de la question du deuil, le scénario de Bryan Sipe l’aborde sous un angle inhabituel (et avec un ton qui pourra en déstabiliser beaucoup), en ne traitant pas directement du manque de l’être aimé et de la façon dont on peut se reconstruire quand la douleur nous empêche d’avancer. Le ton est donné dès l’annonce brutale, accentuée par le montage « cut », de la mort de Julia. L’absence de réaction de Davis qui semble plus préoccupé par la tache de sang sur sa chaussure et le paquet de m&m’s resté bloqué dans le distributeur, fait rire autant qu’elle glace. Le premier tiers du film file à toute allure, si bien qu’on observe Davis, sans être véritablement en mesure de déterminer s’il est réellement cet être insensible, apathique, déconnecté de ses émotions, spectateur du chagrin de ses beaux parents, mal à l’aise face à l’empathie qu’on lui témoigne; ou s’il est dans un état de sidération.
Jusqu’au décès de sa femme, Davis Mitchell était un de ces jeunes financiers, brassant des millions de dollars par jour et auquel tout semble réussir. Parfaitement représentatif de son époque, il est une version policée mais pas moins dangereuse de Bud Fox (Wall Street) et a toute la panoplie de cette nouvelle aristocratie coupée des réalités du monde: une belle voiture, une grande maison à la décoration froide et impersonnelle, un mariage heureux et un très bon poste dans le fonds de pension crée par son beau-père.
Vivant dans un monde virtuel, où rien n’est palpable, Davis s’est construit une routine qui l’a entretenu dans l’illusion d’un bonheur dont la réalité même sera remis en cause avec la mort de Julia.
La profonde crise qu’il va traverser ne sera pas provoquée par le poids écrasant de son chagrin mais par son absence. Vivant dans cette bulle où les marchandises sont virtuelles, revendues, échangées sitôt après leur achat, Davis a perdu ses repères. Durant toutes ces années, il était en représentation constante et n’est plus connecté aux autres et à lui-même.
C’est à travers les lettes de réclamation qu’il envoit au fabricant du distributeur de confiseries de l’hôpital qu’il va essayer de comprendre ce qui lui arrive. La première lettre de réclamation sera l’occasion de s’épancher sur ce qu’il ressent. D’autres suivront dans lesquelles, il se livrera encore un peu plus. La voix off nous lit ces lettres qui servent d’exutoire à Davis, en même temps, que le film en perpétuel mouvement continue sa route. Parallèlement, Davis commence à développer une étrange obsession qui le pousse à vouloir démonter les appareils qui lui passent sous la main. Cela devient un ressort comique efficace sans pour autant nuire à la cohérence du propos et nous sortir du film. Davis réagit comme le miraculé d’un crash qui cherche à comprendre ce sur quoi il ne s’arrêtait pas avant, à appréhender ce monde dans lequel il évoluait comme un automate. Comme le personnage de Jeff Bridges dans le très beau « Fearless » de Peter Weir, il cherche à se mettre en danger pour ressentir enfin quelque chose. Le choix d’un éclairage en lumière naturelle (une des marques de fabrique de JM Vallée), le travail sur le montage, contribue à nous faire entrer dans l’univers de Davis, à l’ancrer dans une réalité, celle de son personnage qui démolit le cadre dans lequel il s’était laissé enfermer.
Se confiant à un passager qu’il croise chaque matin dans le train, Davis lui avoue qu’il est marié parce que c’était « facile ». Il a vécu selon des conventions, suivi un chemin qu’il pensait avoir tracé mais au bout duquel il se rend compte qu’il était déconnecté de lui même, qu’il était devenu apathique. Jake Gyllenhaal arrive à jouer toutes les facettes de ce personnage, excessif mais touchant. Il a à la fois l’attitude et l’intensité qui lui permet d’être toujours juste dans un récit qui multiplie les ruptures de ton.
Dans son parcours, Davis va croiser la route de Kate (Naomi Watts), employée au service client auquel était destiné les lettres de réclamation, qui vit dans une maison modeste avec son fils de 14 ans et son patron. C’est aussi un personnage comme les aime Jean-Marc Vallée, dont on sent les fêlures et l’extrême fragilité. Comme Davis, elle a besoin de se « réveiller », elle est profondément touchée par sa sincérité et séduite par sa folie. Ce sont deux misfits , deux êtres hyper sensibles dont la rencontre va changer le cours de leur existence. L’alchimie entre Gyllenhaal et Watts, deux acteurs évoluant à priori dans des univers très différents, est totale et confirme que Jean Marc Vallée est un immense directeur d’acteurs. On sent qu’il leur laisse une grande liberté et les pousse à aller chercher en eux ce qu’ils ont de plus intime et de plus intense. Judah Lewis qui interprète Chris, le fils de Karen est une formidable révélation. A fleur de peau,d’une intensité folle, il est bouleversant et rappelle River Phoenix.
Vallée filme avec une incroyable sensibilité, la rencontre de ces 3 êtres perdus, en quête d’identité. C’est véritablement à partir de ce moment que le film passe dans une autre dimension et devient déchirant. Faux film cool dans sa première partie, il nous retourne complètement quand la folie devient douce et que comme Davis, il se laisse enfin aller à l’émotion.
Parfois chaotique comme l’est le parcours intérieur de ses personnages, parfois agaçant comme peut l’être Davis, Demolition est le film d’un écorché vif bouleversant d’humanité. Un grand film qui divisera beaucoup tant il pousse à fond tous les curseurs et représente une forme de quintescence du style et de l’extrême sensibilité du cinéma de Jean-Marc Vallée
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