Amour vraiment?
La promesse est dans le titre et les innombrables critiques bouleversés par tant de sincérité et de justesse avaient commencé à semer le doute dans mon esprit. Haneke aurait changé et ne serait plus ce cinéaste manipulateur mais un grand humaniste? Il n’aurait pour une fois eu aucune intention perverse et, en vieil homme assagi, aurait simplement posé sa caméra pour filmer avec pudeur, justesse et « amour » l’histoire d’un charmant couple de personnes âgées se préparant à l’arrivée de la grande faucheuse??
C’est donc avec curiosité mais une bonne dose d’appréhension (cette histoire faisant forcément ressortir,comme beaucoup de monde, quelques douloureux souvenirs) que je me suis décidé à enfin voir ce film qu’on présente comme le chef d’oeuvre incontournable de l’année.
L’ambiance est tout de suite posée : plans fixes, cadres millimétrés, photographie impeccable, Haneke impose une distance très dérangeante. C’est terriblement froid. on observe ce couple, sa fin annoncée, plus qu’on ne partage leur tristesse. Comment entrer en empathie, partager leur douleur, quand Haneke les filme avec autant de distance qu’il essaie de faire passer pour de la pudeur??
Ce sentiment est terriblement renforcé par le jeu des acteurs et plus particulierement celui de Trintignant et Hupper, à tel point que j’ai ri nerveusement à plusieurs reprises pour prendre de la distance et me dire « non c’est une blague, ce n’est pas possible ». Ils récitent leur texte, c’est totalement désincarné et celà accentue la distance déjà imposée par le cadre très rigide de la mise en scène.
La première scène avec Isabelle Hupper atteint d’ailleurs un sommet et m’a mis très mal à l’aise. Au courant de la maladie de sa mère, on l’écoute parler de sa vie à son père, puis incidemment et avec m’a t’il semblé, beaucoup de détachement, elle finit par prendre quelques nouvelles …
Trintignant semble distant et je n’ai absolument pas ressenti son amour pour sa femme. On dirait plutôt qu’il s’agit d’une « bonne amie » et qu’en tout cas l’amour dans ce couple avait disparu bien avant que n’arrive la maladie. Aucun geste tendre, aucun mot doux. Est il un vieux monsieur très digne ou un être terriblement froid? Les critiques qui ont été bouleversés ont une vision bien particulière et même je trouve très triste de l’amour. La passion peut s’éteindre au fil des années mais l’amour se transforme t’ il inexorablement en tendre affection? Finirais je par voir ma femme comme une douce amie qui partage ma vie?? Serais je donc indifférent à ses regards, n’aurais je plus envie de la prendre dans mes bras, sentir son parfum et lui dire que je l’aime?
Suis je le seul à avoir trouvé que durant au moins la 1ère heure du film , le jeu des acteurs est froid et théâtral?
Le jeu de Trintignant m’a vraiment beaucoup intrigué. Vieil acteur qui, à force de faire du théâtre et réciter des textes, n’arrive plus à jouer simplement? ou consignes de jeu imposées par Haneke?
idem pour Hupper, même si la concernant, son jeu et sa froideur m’ont toujours dérange.
Pendant environ une heure, je suis donc resté totalement indifférent à cette histoire.
J’ai même ri à plusieurs reprises tellement le jeu était totalement à côté de l’émotion qu’aurait dû amener la scène. Je n’ai jamais rien lu à ce sujet dans aucune critique. Ma vision est dont peut être totalement erronée mais pour moi Haneke a voulu créer le malaise pour mieux attraper le spectateur quand l’émotion finit enfin par percer.
En effet, la 2ème partie du film arrive: la maladie prend totalement le dessus, Trintignant semble coller un peu moins à son texte et Emmanuelle Riva emporte tout par son interprétation. Elle est totalement bouleversante et Haneke ne nous épargne rien et prend le parti de nous montre absolument tout. L’investissement de Riva est total et en devient même gênant. Le cadre se resserre, la mise en scène est moins figée et s’intéresse d’avantage aux visages, aux émotions. Même Isabelle Hupper finit par pleurer dans une scène qu’elle avait pourtant commencé avec cette froideur très dérangeante. Trintignant touche la main de sa femme, l’appelle ma chérie.. et là… forcement je me suis laissé un peu emporter, en me disant que j’étais en train de tomber dans le piège pervers tendu par Haneke dont je ne connais que trop le goût et le talent pour mettre mal à l’aise et manipuler ses personnages et le spectateur.
Et c’est alors que je me laissais presque attendrir, que je commençais à moins être sur la retenue, voire sur la défensive qu’Haneke ce sadique, ce pervers, trouve le moyen de conclure cette histoire d’une façon totalement détestable. On peut penser ce que l’on veut de l’euthanasie et au delà même, du geste désespéré d’un mari voulant mettre fin aux souffrances interminables de sa femme, mais la façon dont Haneke filme le geste de Trintignant est tout sauf anodine. Elle est même abjecte et le transforme presque en tueur de sang froid.
Conclusion somme toute logique d’un film au final froid comme la mort et dans lequel Haneke montre autant d’empathie pour Emmanuelle Riva que pour le pigeon qu’il filme très longuement dans la dernière scène du film.