Spotlight est le nom de l’équipe de journalistes d’investigation du Boston Globe qui en 2001, à la suite d’une longue et minutieuse enquête, mis à jour un énorme scandale pédophile impliquant des prêtres dont les agissements furent couverts par leur hiérarchie.
Walter Robinson (Michael Keaton) est à la tête de cette équipe composée de Sacha Pfeiffer (Rachel McAdams), Mike Rezendes (Mark Ruffalo) et Matt Caroll (Brian d’Arcy James). C’est à l’initiative de leur nouveau rédacteur en chef, Martin Baron (Liev Schreiber), que sera lancée l’enquête sur les cas de pédophilie dissimulés par l’eglise. Baron vient du Miami Herald qui sous sa direction remporta un prix Pulitzer pour ses articles sur l’arrestation par l’armée américaine, d’Elian Gonzalez, un enfant cubain de 6 ans (voir les articles).
L’arrestation/ l’enlèvement d’Elian Gonzalez par l’armée américaine (photo récompensée par le prix Pulitzer)
Dès son premier jour, au Boston Globe, il demanda à Walter Robinson de relancer l’enquête sur le prêtre pédophile Geoghan et le rôle joué par le très puissant cardinal Law pour étouffer l’affaire.
Liv Schreiber Martin Baron
Juif et absolument pas habitué aux pratiques de la justice de la ville, il n’hésite pas à ressortir ce dossier qui équivaut à déclarer la guerre à la très influente église de Boston. Liev Schreiber nous a rarement habitué à une telle sobriété et il est plus que convaincant dans le rôle de ce rédacteur en chef, hermétique à la pression qui pèse sur toute la ville y compris les journalistes du Boston Globe, lesquels sont pour la plupart catholiques et malgré leur grand professionnalisme, tétanisés par la puissance de l’église.
L’une des grandes forces du film est précisément d’arriver à nous faire ressentir le contexte politique et social dans lequel les journalistes durent enquêter.
La première scène du film est d’ailleurs un flashback qui nous montre la sortie du commissariat d’un prêtre , entendu en 1976, après qu’une mère divorcée ait porté plainte pour viol . Le paternalisme avec lequel l’archevêque parle à cette mère pour la convaincre de retirer sa plainte, l’empressement du procureur adjoint qui arrive au commissariat puis la sortie du prêtre, de nuit, escorté par l’archevêque, qui monte avec lui dans une cadillac noire avant de disparaître: on pourrait se croire dans un film de mafieux. Le prêtre apparaissant comme un homme de main qui s’est fait coincer par la police et que le bras droit du parrain vient tirer de ce mauvais pas. On comprend tout de suite l’emprise de l’église sur la ville et la situation dans laquelle se retrouvent les victimes de ces prêtres.
Cette scène remarquablement mise en scène, pose d’emblée le contexte, les enjeux et les difficultés auxquels devront se confronter les journalistes ainsi que le courage qu’il faudra aux victimes pour accepter de témoigner.
C’est là l’occasion de parler d’un point qui me tient à coeur. Il paraît qu’il n’y a pas de mise en scène dans Spotlight. Qu’aussi passionnante soit l’histoire, Mc Carthy se contente du strict minimum, en la filmant platement, sans idées, sans style. Je suis en total désaccord avec ces critiques que je trouve injustes et infondées.
A trop avoir tendance à privilégier le spectaculaire, à se pâmer par exemple devant un plan séquence ou un effet, sans se demander s’il sert le propos du film, on oublie qu’une grande mise en scène est aussi celle qui ne se voit pas et qui s’efface derrière son sujet.
Pour paraphraser le réalisateur Karel Reisz (Isadora, The Gambler, Who’ll stop the rain), le style n’est pas une question d’angle de caméra, de mouvements spectaculaires mais une expression de l’opinion du metteur en scène.
Avec Tom McCarthy il n’y a pas de show off. Sa mise en scène est entièrement au service d’un scénario dont il est le co-auteur et qui, conscient de la force de son récit, ne cherche pas à en rajouter, à romancer, dramatiser. Loin d’être un manque d’ambition, cette « épure » est un vrai parti pris. Dans une démarche similaire à ses personnages, la mise en scène de McCarthy recherche la vérité et l’efficacité.
Aussi bon soit le matériau de base, aussi bons soient les acteurs, sans une grande mise en scène, l’édifice s’écroulerait.
En outre, pour faire une analogie avec le sport, on dit que le talent d’un coach se mesure à sa capacité à tirer le meilleur de ses joueurs et à créer un collectif.
Il en est de même pour moi au cinéma. Lire dans une même critique que l’histoire est passionnante, que les acteurs sont tous bons et jouent très bien ensemble mais que la mise en scène n’est pas au niveau est un contresens total.
Par ailleurs de quoi parle-t’on? La facilité n’est elle pas plutôt de chercher le spectaculaire que ce soit dans la direction d’acteurs et dans la mise en scène?
Ceci étant dit et pour en revenir au film, ce qui le rend passionnant c’est qu’au delà de l’enquête, du mécanisme propre à un bon film dossier et plus précisément un « newspaper movie », il parvient à plonger le spectateur au coeur du contexte si particulier de la ville de Boston avant que ce scandale n’éclate.
Pour ces journalistes, il ne s’agit pas temps de découvrir la vérité que de briser la loi du silence, la chape de plomb qui pèse y compris sur les consciences des victimes et de leur famille et pour celà, de se donner les moyens pour que l’église ne puisse pas échapper à ses responsabilités.
Traiter des difficultés des victimes à sortir du silence, à croire en la justice, des doutes des journalistes se devouant entièrement à cette enquête au détriment de leur vie privée, du cynisme de l’église et en particulier du cardinal Law: autant de thèmes suffisamment « lourds » pour faire l’économie d’une dramatisation artificielle créé par la mise en scène et l’utilisation de la musique (magnifique composition d’Howard Shore).
Chaque rôle a été admirablement caste en jouant sur les points forts de leur interprète. S’il est difficile de demander à un acteur très sobre de forcer son jeu pour incarner un personnage exubérant ou caractériel, le contraire peut donner des résultats très intéressants.
Michael Keaton se fond dans le personnage de Walter Robinson, journaliste cartésien, dirigeant son équipe avec un mélange d’autorité et de bienveillance.
Walter Robinson Michael Keaton
Il y a dans son regard l’intensite habituelle mais sa façon de parler et sa gestuelle est beaucoup plus neutre. Je n’ai pas souvenir de l’avoir vu aussi sobre auparavant et s’il fallait trouver une comparaison, je dirais qu’il m’a fait penser à Jason Robards dans les hommes du président. Il donne de l’épaisseur et apporte son charisme à un personnage qui, incarné par un autre acteur, aurait pu être un peu fade.
Rachel Mc Adams poursuit sa mue entamée avec son interprétation dans la 2ème saison de True Detective, dans un registre beaucoup plus sobre que celui qu’on lui connaissait.
Sacha Pfeiffer Rachel McAdams
Elle garde ce charme, cette « fraîcheur » qui crée une empathie immédiate et est qui est notamment essentielle lorsqu’elle doit interroger les victimes. Etant très proche de sa grand mère qui est une fervente catholique, très attachée à l’église de Boston, elle a conscience peut être plus que les autres, du « tremblement de terre » que son journal s’apprête à déclencher. Il se dégage de ce personnage une profonde empathie et une dévotion totale à son métier et c’est dû à l’ interprétation sans artifice de Mc Adams (à l’image de la mise en scène de McCarthy). C’est un rôle « anti -spectaculaire », dans lequel elle fait pourtant beaucoup et que je trouve, elle a abordé de la même façon que le faisait Jane Fonda (notamment dans le syndrome chinois).
Sa nomination aux oscars est totalement méritée.
L’académie a également nommé Mark Ruffalo qui est pour moi le grand coup de coeur de ce casting.
Mark Ruffalo et Mike Rezendes
La reussite d’un « film dossier » réunissant un casting aussi important passe, à mon sens, par un personnage auquel on puisse s’identifier, par lequel passe l’émotion et qui rende les enjeux plus palpables. Mark Ruffalo remplit brillamment ce rôle de vecteur émotionnel. Si je trouve qu’il avait parfois tendance à jouer de façon « trop affectée », à surjouer l’empathie et l’emotion, son jeu est ici parfaitement cadré et adapté au personnage de Mike Rezendes. Ce scandale le touche intimement en ce qu’il remet en question sa foi. Son implication est totale, sa ténacité impressionnante et s’ il faut chercher une grande scène émouvante, alors difficile de ne pas citer cette scène où il explose quand Walter Robinson lui dit qu’il est encore trop tôt pour publier. Ses mots sont ceux d’un homme traumatisé par ce qu’il a découvert et qui craint que l’église échappe, une fois de plus, à ses responsabilités.
Je pourrais aussi citer Stanley Tucci dont le flegme habituel fait merveille pour incarner, Mitchell Garabedian, l’avocat des familles des victimes.
McCarthy avait un casting et une histoire en or, il en a tiré le meilleur, sans aucun compromis, en ayant eu l’intelligence et la modestie , comme ses acteurs, de ne pas se mettre en avant. Il a foi en son film et en ses spectateurs qu’il ne prend pas par la main et ne tire jamais par la manche.
Avec toutes ces qualités, Spotlight au delà d’être un grand film, fait partie de la catégorie des « classiques instantanés » résistant à l’épreuve du temps et des visions successives.