The Master (2013) – Paul Thomas Anderson [A]

the master

The master est et demeurera sûrement le mal aimé de la filmographie de PT Anderson.
Les gens le connaissent et s’en souviendront tel qu’il aura voulu se montrer mais cherchent ils seulement à savoir ce qu’il y a au fond de ce film ?
Comme je n’ai pas perdu un pari m’obligeant à parler du plus grand réalisateur américain en reprenant les paroles d’une chanson de Claude François, j’arrêterai là l’hommage. En voyant ce film et en y ayant beaucoup repensé depuis, ce qui me frappe le plus c’est que PT Anderson n’aura rien mais alors rien fait, rien concédé, pour rendre son film aimable. On se trouve devant un grand film mental, devant la version brute de la vision de son réalisateur. C’est d’autant plus frappant qu’on a connu un PT Anderson bien plus aimable à ses débuts, avec les presque « pop » Boogie Nights, Magnolia et Punch Drunk Love. Des films déjà extrêmement maitrisés mais beaucoup plus « ouverts » et accessibles.
There Will Be Blood marquait déjà une rupture de ton et une évolution vers une certaine radicalité, mais PT Anderson arrivait quand même à créer un peu d’empathie pour ses personnages.
The master m’aura fait me poser beaucoup de questions
Peut-on aimer un film qui n’aime pas ses personnages et qui ne fait rien pour être aimé de ses spectateurs ?
Doit-on entrer en empathie avec une histoire et des personnages pour qu’un film nous touche ?
Un grand film n’est il pas aussi un film qui continue de vivre en nous après l’avoir vu, auquel on repense, qu’on analyse pour parfois trouver des réponses et parfois aussi voir apparaître de nouvelles questions ?
The Master m’a tout d’abord rassuré et éblouit. La photographie de tous les films de PT Anderson ayant été jusque là confiée au génial Robert Elswit, j’attendais avec un peu d’appréhension de voir ce qu’allait donner cette nouvelle collaboration avec Mihai Malaimare Jr, qui fut le directeur de la photographie des 3 derniers Coppola. Tous mes doutes se sont envolés dès les premières images, au point qu’il m’est même assez rapidement apparu que je me trouvais devant l’oeuvre la plus techniquement aboutie de toute la très brillante filmographie de PT Anderson. La photographie est sublime et j’ai parfois même vraiment eu l’impression de me trouver devant un film des années 50, comme j’avais pu le ressentir devant « Loin du Paradis » de Todd Haynes. Chaque plan est millimétré, les mouvements de caméra sont d’une grâce et d’une fluidité ennivrantes.

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Le plan séquence accompagnant Freddie à son arrivée de nuit, sur le quai où est amarré le bateau de Lancaster Dodd m’a même immédiatement renvoyé au magnifique plan séquence d’Eyes wide shut, lorsque Bill arrive en pleine nuit devant le manoir où se déroule les fameuses orgies. Comme le personnage de Bill, rien ne sera plus jamais pareil pour Freddie une fois qu’il sera monté sur ce bateau. Ce bateau illuminé qui apparaît au milieu de la nuit semble tout droit sortie d’un rêve comme le manoir d’Eyes Wide Shut.


C’est tellement beau, tellement maîtrisé que ca pourrait en devenir presque froid et tourner à un exercice d’auto satisfaction d’un réalisateur au sommet de son art. Avec un acteur peu charismatique, cet écueil n’aurait probablement pas pû être évité.

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Le fait est que Joaquin Phoenix bouffe litéralement l’écran, sa transformation physiqiue impressionne (combien a t’il perdu de kilos depuis « I’m still there»??) et met même mal à l’aise, mais au delà quel autre acteur dégage autant d’intensité?
La rencontre avec Lancaster Dodd, gourou en apparence froid et manipulateur d’une sorte de secte appelée « la cause », va faire entrer Freddie et le film dans un nouveau monde, une nouvelle dynamique.

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Leur rapport est bien plus complexe que celui d’un gourou avec son élève. Chacun semble trouver chez l’autre des motifs de fascination et de répulsion. Lancaster se servira de Freddie pour vérifier ses théories et mener à bien ses expériences mais il semble aussi fasciné par son énergie et sa folie et envieux de sa liberté.


Freddie est une sorte d’animal blessé dépourvu de toute spiritualité, ressorti de la guerre psychologiquement détruit et, qui évolue comme un « misfit » incapable de trouver sa place dans la société, incompris et mal aimé. Il va trouver en Lancaster beaucoup plus qu’un gourou. Il lui sera d’une fidélité et d’une obéissance absolue, voulant avant tout plaire à cet homme qu’il semble considérer d’avantage comme un père que comme un maître.
Ces 2 personnages étant chacun finalement assez complexes et antipathiques, j’ai eu beaucoup de mal à être réellement touché par leur relation. En fait, il serait plus juste de dire que je n’ai pas réellement su quoi en penser, restant extérieur et n’arrivant pas à prendre parti pour l’un des 2. C’est paradoxal alors que le film semblait devoir montrer le pouvoir qu’un gourou et qu’une idéologie fumeuse (voir les nombreuses contradictions de Lancaster qui comme le fait remarquer un personnage, semble parfois improviser et inventer plutôt que se comporter en porte parole d’une idéologie rigide et inflexible) peut exercer sur des êtres influençables et sans repères. Paradoxal donc et même très déstabilisant.

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Le personnage de la femme de Lancaster, superbement interprété par Amy Adams qui trouve là enfin un rôle à la mesure de son talent, est encore plus déstabilisant. Seul personnage pour lequel on puisse avoir un peu d’empathie au début du film, Peggy se révèle progressivement être bien plus qu’une épouse effacée et souriante. On peut même dire, qu’alors que Lancaster perdra progressivement de sa superbe pour montrer toutes ses contradictions et faiblesses; Peggy apparaîtra de plus en plus froide et manipulatrice, au point même qu’elle semble avoir plus de pouvoir sur Lancaster que celui ci n’en a sur Freddie. Le point de bascule étant atteint lors d’une des très rares scènes (je crois même que c’est la seule) de tête à tête entre Lancaster et Peggy. Après une soirée très arrosée à la fin de laquelle Lancaster complètement ivre, chante et danse dans son salon au milieu de femmes nues, Peggy le rejoint dans la salle de bain et lui dit « Tu peux faire tout ce que tu veux du moment que personne n’est au courant et que personne que je connaisse ne le sache ». Puis en le masturbant, elle lui fait promettre d’arrêter l’alcool « c’est terminé cette gnôle. Répète le »tout en lui enjoignant de jouir sur un ton et avec des mots très crus « tu vas jouir pour moi? Jouis pour moi, du mieux que tu peux ». La façon dont elle s’essuie ensuite mécaniquement les mains avant de quitter la salle de bains, alors que Lancaster reste la tête dans le lavabo à pousser des cris de plaisir, m’a glacé le sang.
Le personnage de Lancaster même s’il inspire peu de sympathie, est toutefois moins inflexiblle et manipulateur que ne l’était celui d’Eli, le pasteur de « There will be blood ». Il semble beaucoup moins « maître » de son idéologie et de ses disciples et apparaît presque comme dépassé par les attentes qu’il a pu susciter. Lancaster ne serait il au final pas d’avantage un homme à la recherche d’amour plutôt qu’un manipulateur pervers tel qu’on peut se le figurer au début du film?
The Master offre donc une galerie de personnages extrêmement complexes, contradictoires, qui s’avèrent très difficiles à cerner et donc à aimer. Il en ressort une certaine sensation de malaise. On pourrait de prime abord et se dire que quelque chose ne fonctionne vraiment pas dans ce film, mais il m’apparaît évident que cette sensation a été voulue par PT Anderson et qu’elle sert véritablement le propos du film en le rendant même beaucoup plus fort.

 Pour apprécier ce film à sa juste valeur, il faut absolument avoir en tête que PT Anderson est le contraire d’un réalisateeur manichéen, qu’il laisse donc le spectateur libre de ses jugements. Les enjeux du film n’apparaissent pas clairement, le parcours des personnages n’est pas prévisible et gravé dans le marbre. Il faut aussi se sortir de la tête que le film ne serait qu’une charge contre la scientologie et de manière plus globale, contre le pouvoir de la religion.

A l’exception de « Punch DrunkLove », chaque film de PT Anderson traitait à sa façon du la foi

Foi religieuse dans There Will Be Blood avec le personnage d’Eli, le faux prophète

Mais aussi et surtout, la foi personnelle et inconditionnelle qu’on peut placer en quelqu’un qui bouleversera notre vie

Dans Boogie Nights, la rencontre d’Eddie avec Jack Horner n’a t’elle pas changé sa vie? N’a t’il pas été sous son influence et ne s’est il pas laissé aveuglé par l’admiration

Dans Magnolia, Franck Mackey n’est-il pas un gourou du sexe?

Dans Hard Eight, John n’est il pas un paumé en fin de parcours  qui croisera le chemin de Sydney qui le prendra sous son aile et fera de lui un autre homme?

 Lancaster a t’il finalement plus de pouvoir sur Freddie que n’en avaient les précédents « gourous » qui parcourent l’oeuvre de PT Anderson?

Il faut accepter et aller au delà de l’inconfort que peut procurer cette plongée de 2h20 dans cet univers en apparence si froid et austère mais qui au final parle aussi et beaucoup d’amour.Il faut le revoir, y réfléchir, accepter de remettre en cause ses premières impressions. Certains films grandissent avec le temps et s’imposent comme des œuvres inclassables, des chefs d’oeuvres. The Master est incontestablement de cette trempe. Je préfèrerai toujours revoir Magnolia et Boogie Nights qui sont des chefs d’oeuvres moins exigeants et qui procurent un plaisir plus immédiat, mais il n’est pas interdit de penser que « The Master » est peut être le plus grand film de PT Anderson..

Trailer

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