[CRITIQUE] Heredite – Ari Aster [A-]

 

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SYNOPSIS: Lorsque Ellen, matriarche de la famille Graham, décède, sa famille découvre des secrets de plus en plus terrifiants sur sa lignée. Une hérédité sinistre à laquelle il semble impossible d’échapper.

Si l’image du genre horrifique a bien sûr considérablement évolué depuis plusieurs décennies, qu’il a peu à peu poussé les murs érigés devant lui par une certaine critique et une corporation le regardant de haut, il est encore trop souvent considéré comme un genre réservé à un public averti, destiné à des festivals spécialisés, ne pouvant prétendre qu’aux récompenses qu’il s’est lui même crée, les tapis rouges de Cannes, Venise, du Kodak Theater et de la Salle Pleyel lui étant quasiment « interdits ».

 

Les lignes continuent toutefois à bouger et l’année en cours qui a vu Grave et Get Out s’inviter sur les tapis rouges de la grande messe annuelle de leur corporation, va peut être encore accélérer le mouvement avec la révélation éclatante d’un metteur en scène dont on peut d’ores et déjà parier gros sur l’avenir brillant: Ari Aster. Pour son premier film, celui que nous avions découvert avec ses excellents courts métrages réalise une entrée fracassante dans un genre qui est décidément une vraie mine de diamants si l’on pense aux réalisateurs qu’il a révélé ces dernières années (Robert Egerts, Jordan Peele, David Robert Mitchell, Trey Edward Shults…).

 

Abordant le genre horrifique par le prisme du drame familial, Hérédité est de ces films d’horreur qui s’ancrent dans le réel pour le pervertir, qui s’inscrivent dans un genre ou plutôt y glissent progressivement pour appuyer leur propos et non pour s’y complaire de façon stérile. Ces films ne reposent pas sur la peur d’un bogeyman/monstre mais sur leur capacité à bousculer le spectateur, à transformer le ride horrifique en ride introspectif, à faire basculer ce qui pourrait être un drame classique en un cauchemar éveillé, une descente aux enfers inexorable, parcouru de visions horrifiques extrêmement marquantes.

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Avec Hérédité, Ari Aster retrouve des thématiques qui lui sont chères celles de « l’enfer familial », de l’incommunicabilité familiale. La famille comme berceau de secrets, névroses, jalousies et haines tenaces, a depuis longtemps offert au genre horrifique un matériau de premier choix, quasiment inépuisable dont se sont nourris quelques uns de ses plus grands films: Psycho, The Shinning, Rosemary’s Baby, Carrie, Deux Sœurs, Les Innocents, Don’t look nowHérédité creuse ce même sillon en installant dans un premier temps un climat d’inquiétante étrangeté qui précède la bascule dans l’horreur, le récit opérant par sédimentation sur le spectateur. C’est cet ancrage dans le réel puis cet entre deux qui sème le doute dans l’esprit du spectateur qui est le socle du film d’Ari Aster comme de tant de grands films du genre. Dans deux de ses courts métrages, Ari Aster s’amusait déjà à gratter le vernis de la famille américaine, à pervertir son image proprette, renverser ses codes avec un ton mêlant horreur et humour corrosif, proche de celui que l’on pouvait retrouver par exemple dans Les Contes de la Crypte. Dans Munchausen, on découvrait ainsi une mère ultra protectrice, incapable de se résoudre à voir son fils quitter le cocon familial pour entrer à la fac et prête à tout pour l’en empêcher. Dans The Strange Things About The Johnson, Ari Aster allait encore plus loin en traitant à front renversé la thématique de la maltraitance et de l’omerta imposée au sein d’une famille. Le père était ici la victime silencieuse et honteuse des violences physiques et sexuelles d’un adolescent qui le fait vivre dans la terreur. Dans Hérédité, le ton est beaucoup plus sombre, le constat sur la famille encore plus désespéré. Hérédité traite de l’incommunicabilité familiale, de la difficulté voire l’impossibilité de dire ses sentiments, de se débarrasser de ses rancœurs, de créer un lien qui dépasse le seul lien biologique.

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Ce qui se présente comme un film sur la névrose familiale, sur la propagation insidieuse de la dépression et de la folie au sein d’une famille affectée par le deuil et la culpabilité mais qui ne communique pas et se laisse contaminer par le cerveau malade d’une mère, se mue en expérience dont le spectateur n’est plus seulement le témoin mais le sujet. Il apparaît en effet que Ari Aster joue avec ses personnages et son récit autant qu’il se joue du spectateur pour lui faire perdre tous ses repères. La première scène du film fait à ce titre quasi office de profession de foi. Aster se comporte comme un miniaturiste qui a créé ses personnages, son univers et qui anime le tout au gré de ses visions parfois composites à tel point que l’on pense parfois embarquer dans un trip à travers son imaginaire nourri de toutes ses influences (disparates) cinéphiles. De Shining, à Rosemary’s Baby en passant par Don’t look Now – dont il s’inspire explicitement – jusqu’au film de fantôme très inspiré du cinéma japonais des années 50 (Onibaba notamment), Hérédité navigue entre différents registres, ajoute des ingrédients qui semblent d’abord dissonants qui transforment le film en une expérience déstabilisante, parfois à la limite de l’abstraction. De fait, il n’est pas question que d’hérédité au sens de transmission familiale mais aussi au sens de transmission d’un héritage cinéphile de décennies de cinéma horrifique.

 

Hérédité est un film bâti sur plusieurs strates, un mille-feuille horrifique dont la cohérence tient parfois à un fil très ténu, notamment quand il demande autant à ses acteurs qui doivent être capables d’évoluer dans un registre parfois assez théâtral. Si Toni Collette (Annie) y brille, Alex Wolff (Peter) affiche des limites qui ne sont pas loin de faire déraper quelques scènes qui flirtent involontairement avec le comique. En partant dans de multiples directions qui finiront heureusement toutes par converger vers ce qui est le propos central du film, Ari Aster a pris le risque de perdre un certain nombre de spectateurs en cours de route. On peut dire qu’il y a dans cette ambitieuse entreprise un mélange de foi totale dans le spectateur mais aussi de confiance assez hallucinante en soi pour un premier film. Que l’on pense deviner la direction empruntée par Hérédité et l’on se rend compte qu’il ouvre une autre piste. La schizophrénie, l’horreur, la paranoïa, l’occultisme irriguent un film qui excelle à créer des images et des scènes dont il est impossible de se détacher même après la séance.

 

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